Les ministres européens des Affaires étrangères ont décidé lundi soir à Bruxelles de lever l'embargo sur les armes pour les rebelles syriens, mais aucun pays n'a l'intention d'en envoyer dans les deux prochains mois afin de ne pas mettre en danger l'initiative de paix russo-américaine alors que la guerre fait rage sur le terrain.

«L'UE a décidé de mettre fin à l'embargo sur les armes pour l'opposition syrienne et de maintenir les autres sanctions contre le régime syrien», prises il y a deux ans, a annoncé le ministre britannique William Hague en milieu de nuit à l'issue d'une réunion marathon.

Mais, dans les faits, elle ne devrait rien changer pour les rebelles qui font face à l'offensive de l'armée syrienne, en particulier autour de la ville stratégique de Qousseir (centre).

Car les 27 «se sont engagés à s'abstenir d'exporter des armes à ce stade et, en tout état de cause, à appliquer un certain nombre de critères stricts à d'éventuelles exportations futures», a expliqué le ministre luxembourgeois Jean Asselborn.

«C'est une levée théorique de l'embargo. Concrètement, il n'y aura pas de décision de livraison avant au minimum le 1er août», a de son côté indiqué un haut responsable français, ayant requis l'anonymat.

Aucune arme ne devrait ainsi être livrée d'ici au 1er août, date avant laquelle les ministres ont prévu de «réexaminer» leur position. Ce délai devrait leur permettre de dresser un premier bilan de la conférence internationale «Genève 2» prévue en juin à l'initiative des États-Unis et de la Russie.

L'organisation d'une telle conférence de paix sur la Syrie ne sera «pas une mince affaire», a prévenu lundi soir le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov, à l'issue d'un entretien à Paris avec son homologue américain John Kerry.

«Nous avons discuté des moyens de procéder (...) pour que cette conférence ait lieu. ce n'est pas une tâche facile, ce n'est vraiment pas une mince affaire», a déclaré Sergueï Lavrov, dont le pays soutient le régime de Damas.

MM. Lavrov et Kerry, dont c'est la 6e rencontre depuis la prise de fonction de John Kerry en février, venaient de s'entretenir dans un grand hôtel parisien pour discuter de la date d'une conférence de paix et des représentants de l'opposition syrienne et du régime du président Bachar al-Assad qui y participeraient.

«Comme l'a dit John, nous nous sommes avant tout concentrés sur la nécessité de déterminer la liste des participants du côté syrien, le groupe du gouvernement et celui de l'opposition, comme nous en avions parlé à Moscou», a expliqué M. Lavrov.

Si Damas a donné son «accord de principe» pour participer à «Genève 2», l'opposition syrienne, réunie depuis jeudi à Istanbul, apparaît profondément divisée et ne s'est pas encore prononcé sur sa présence. Les négociations se poursuivaient lundi soir sans signe de progrès, selon un membre de la Coalition syrienne.

Le ministre russe des Affaires étrangères a souligné que la conférence de paix pourrait être «élargie pour inclure tous les acteurs clefs», dans la région. Moscou souhaite de longue date que l'Iran, soutien du régime de Damas, participe aux négociations, ce que les Occidentaux refusent.

En juin 2012, la première conférence de Genève avait rassemblé les chefs de la diplomatie des cinq membres permanents du Conseil de sécurité (États-Unis, Chine, Russie, France et Grande-Bretagne), des représentants de l'Irak, du Koweït, du Qatar, de la Turquie, et de responsables de l'ONU et de l'Union européenne.

MM. Lavrov et Kerry ont ensuite dîné dans un restaurant de la capitale française avec leur homologue Laurent Fabius, de retour de Bruxelles.

Avant de quitter Bruxelles, M. Fabius a affirmé qu'il y avait «des présomptions de plus en plus fortes, de plus en plus étayées, d'usage localisé d'armes chimiques» en Syrie.

La France va analyser les échantillons de potentielles armes chimiques rapportés de Syrie par des journalistes du quotidien français Le Monde, a annoncé mardi un haut responsable français sous couvert de l'anonymat.

Deux envoyés spéciaux du Monde, présents en Syrie en avril et mai, ont témoigné lundi dans le quotidien français de l'utilisation d'armes toxiques contre les forces rebelles qui tiennent les faubourgs de Damas.

La question des armes chimiques a été abordée par MM. Kerry, Lavrov et Fabius lundi soir, a indiqué le responsable français, ajoutant: «la question des armes chimiques peut introduire une situation différente car les lignes de clivage (avec les Russes) ne sont pas les mêmes que sur le conflit syrien».

L'utilisation d'armes chimiques fait l'objet de soupçons depuis déjà quelques semaines dans plusieurs endroits de Syrie, mais n'a pas été formellement prouvée.

L'ONU demande en vain à Damas de laisser ses experts enquêter sur les accusations réciproques adressées par le pouvoir et l'opposition concernant le recours à ces armes.

Combats acharnés, «cauchemar» humanitaire et social

Epaulée par les combattants du Hezbollah libanais, dont au moins 79 hommes ont été tués en une semaine selon une ONG syrienne, l'armée syrienne livrait lundi des combats acharnés pour s'emparer de la ville de Qousseir (centre).

Les insurgés défendent bec et ongle cette ville et ses environs, zone stratégique aussi bien pour les rebelles que pour le régime car elle se trouve sur le principal axe vers le Liban, et sur la route reliant Damas au littoral, base arrière du régime.

A Homs, dans le centre de la Syrie, au moins quatre personnes ont été tuées et des dizaines d'autres blessées dans l'explosion d'une voiture piégée, selon l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH).

Et les craintes de voir le Liban entraîné dans la guerre se sont encore accrues avec de nouveaux tirs d'obus, depuis la Syrie, sur un fief du Hezbollah dans l'est du Liban. Au moins une femme a été tuée lorsque trois obus lancés depuis la Syrie se sont abattus près de la ville de Hermel, a affirmé à l'AFP un responsable des services de sécurité.