La guerre est une affaire d'hommes en Syrie, sauf à Alep où une vingtaine de femmes se battent avec les rebelles. La Presse en a rencontré quatre. Récit.

Elles sont 21. Elles portent de longs manteaux, un foulard qui dissimule leur visage, des gants et un fusil. Tous leurs vêtements sont noirs, la couleur du djihad. Elles se battent avec les soldats rebelles contre Bachar al-Assad. Comme des hommes.

Oum Fadi est l'âme dirigeante du groupe. Elle participe à la guerre depuis les tout débuts. Elle a commencé en faisant de la couture et en cuisinant pour les soldats. Un jour, elle a troqué son tablier et ses aiguilles à coudre contre un fusil.

Oum Fadi est connue dans les rangs des rebelles. Son mari se bat, ses 10 enfants aussi. Ses quatre fils sont au front et ses six filles «font le djihad autrement». Elles cuisinent pour les soldats.

Pour Oum Fadi, faire tomber Assad est devenu une histoire de famille. Ses oncles, sa belle-famille et son frère, qui est chef d'un bataillon, se battent contre Bachar al-Assad.

Elle aussi voulait se battre. Avec des armes. Elle a convaincu les soldats de l'Armée syrienne libre de recruter des femmes. «Je ne me vois pas comme une femme, mais comme une combattante», a-t-elle dit.

C'était ses premières paroles. Je l'ai rencontrée à Alep, avec trois autres soldates. Alep, une ville ultraconservatrice qui grouille de salafistes, des islamistes radicaux qui luttent aux côtés des rebelles. Le phénomène est unique en Syrie. Seul Alep compte un petit bataillon de soldates.

C'est Oum Fadi qui a convaincu les 20 femmes de prendre les armes. Aucune tâche ne les rebute: elles vont au front, elles patrouillent dans les rues agitées d'Alep et elles lancent des missiles.

Les autres combattantes sont plus jeunes, mais tout aussi convaincues des vertus de la révolution. Deux ont perdu leur mari. Houda a 29 ans. Son mari a été tué à Homs pendant le terrible siège de Baba Amr en février 2012. Le régime de Bachar al-Assad a férocement bombardé le quartier pendant un mois avant de le reconquérir. Plusieurs soldats rebelles sont morts, ainsi que deux journalistes.

Après la mort de son mari, Houda a quitté Homs pour Alep. C'est là qu'elle a rencontré Oum Fadi. Et qu'elle a décidé de prendre les armes. «Je voulais suivre la voie de mon mari», a-t-elle expliqué.

Rihab aussi vient de Homs. Elle a 32 ans. Elle est mariée à un combattant. Khadijé, elle, a 30 ans et deux bambins de 4 et 6 ans. Quand elle a vu les bombes de Bachar al-Assad tuer des enfants, elle a décidé de s'enrôler dans la brigade d'Oum Fadi. Son mari est mort dans un bombardement en février.

Pendant l'entrevue, elles étaient assises par terre avec leur fusil, enveloppées dans de grands manteaux qui tombaient sur leurs chevilles.

- Comment faites-vous pour vous battre avec votre manteau et votre foulard? Encombrant, non? ai-je demandé à Oum Fadi.

- Je suis habituée, a-t-elle répondu avec un léger sourire.

- Vous êtes la seule à ne pas cacher votre visage. Pourquoi?

- Je n'ai pas peur, alors je ne couvre jamais mon visage. Les autres le cachent parce qu'elles ne veulent pas être reconnues.

Oum Fadi est une tireuse embusquée. Son fusil, équipé d'une lunette de précision, ne la quitte pas. Elle a tué sept ou huit soldats d'Assad en un an. Tapie derrière sa lunette, elle les traque. Elle les distingue clairement lorsqu'elle place son doigt sur la gâchette, prête à tirer.

Elle ne ressent aucune émotion, aucune pitié lorsqu'elle abat un soldat ennemi. «Ils sont contents quand ils nous tuent, alors je suis heureuse quand j'en abats un. Ils nous tuent et nous égorgent, alors je les égorge à mon tour.» Sur le bandeau qui couvre leur front, cette inscription: «Il n'y a qu'un Dieu et le prophète est son messager.»

Malgré ce message religieux, elles sont contre la création d'un État islamique. Elles rêvent d'un gouvernement laïc. Elles ne veulent pas mourir et devenir des martyres. Elles souhaitent seulement vivre assez longtemps pour assister à la chute de Bachar al-Assad.

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Deux soldats rebelles ont arrangé la rencontre avec Oum Fadi et ses femmes soldates. L'entrevue vidéo s'est déroulée dans une maison privée d'Alep.

À la fin de l'entrevue qui a duré 45 minutes, le chef des deux soldats est arrivé sur les lieux, furieux. Il ignorait que des journalistes filmaient les femmes. Il a obligé Edouard, le photographe, à effacer ses photos et ses images vidéo.

La tension était à couper au couteau dans la pièce. Les femmes se tenaient dans un coin, silencieuses, les deux soldats fixaient le sol, craintifs, pendant que le chef attendait qu'Edouard ait fini de tout effacer.

J'ai dit à Edouard: «Mais pourquoi tu acceptes de tout effacer?» Il m'a répondu très calmement. «Parce que le gars a une kalachnikov.» C'était un argument de poids.

Un des soldats a glissé à l'oreille d'Edouard: «SVP, effacez tout!» Seulement trois photos ont pu être récupérées grâce à un logiciel.

Les deux soldats fautifs ont dû vider leurs poches et donner argent, cartes d'identité et cellulaires à leur chef.

Quand nous sommes partis, on entendait leurs cris de douleur.