En soulignant les risques de son soutien aux rebelles syriens, l'attentat de Reyhanli a contraint la Turquie à presser de plus belle la communauté internationale à agir contre le régime de Damas pour parer aux risques croissants de débordement du conflit.

Sitôt passé le choc de la double explosion dans la ville frontalière turque, qui a fait 48 morts et plus d'une centaine de blessés, les autorités d'Ankara ont mis en cause samedi la responsabilité du gouvernement syrien et assuré qu'il avait franchi une «ligne rouge» l'autorisant à «prendre toute mesure» en représailles.

Sur un ton très martial, le gouvernement turc a ajouté qu'il ne tolérerait aucun «risque terroriste» de la part de son voisin du sud, alors qu'il accueille sur son sol quelque 400 000 Syriens fuyant les combats qui ont déjà fait 80 000 morts, selon l'Organisation syrienne des droits de l'homme (OSDH).

Pour les analystes, le double attentat à la voiture piégée de Reyhanli a marqué l'échec de la politique turque qui, après avoir tenté en vain de profiter de ses bonnes relations avec Damas pour jouer les médiateurs, a décidé de jouer la carte de la rébellion.

«Jugeant le départ de Bachar al-Assad inévitable, la Turquie a cherché à le déstabiliser en soutenant l'opposition politique et armée en Syrie», observe Soner Cagaptay, du Washington Institute. «Mais cette politique a échoué avec les graves conséquences que les attaques de samedi ont soulignées», ajoute-t-il, «Ankara ne peut plus désormais se considérer comme à l'abri des retombées de la guerre».

Attentat de Reyhanli inclus, plus de 80 citoyens turcs ont été les victimes directes des événements syriens depuis leur début en 2011. Cinq d'entre eux ont été tués par des obus tirés en octobre depuis la Syrie. Et en février, un attentat à la voiture piégée avait déjà fait 17 victimes à un poste-frontière.

Depuis l'attentat de samedi, les habitants de Reyhanli expriment chaque jour leur colère dans la rue en s'en prenant aux quelque 25 000 réfugiés syriens qui ont grossi les rangs de leur ville et en dénonçant le soutien du gouvernement turc aux rebelles.

Demandes à Obama

Dans un rapport publié il y a quelque jours, l'ONG International Crisis group a précisément mis en garde contre les risques suscités par la forte présence de réfugiés et de rebelles syriens de confession sunnite dans la province turque d'Hatay, où réside une forte minorité alaouite, la confession du président Assad.

Mis en cause par les manifestants de Reyhanli et ses adversaires politiques, le premier ministre Recep Tayyip Erdogan a tenté dimanche de ramener le calme en appelant chacun à «garder son sang-froid face à chaque provocation visant à attirer la Turquie dans le bourbier syrien».

Ainsi qu'il l'a lui-même dit lundi devant la presse, le premier ministre entend désormais, à la lumière de l'attentat de Reyhanli, profiter de sa visite vendredi à Washington pour faire «demander» au président Barack Obama d'intervenir plus fermement dans la crise.

Si les États-Unis, via l'OTAN, ont accepté de déployer en Turquie des batteries de missiles sol-air Patriot, ils ont rejeté l'idée d'Ankara d'une zone d'exclusion aérienne au-dessus de la Syrie et, surtout, répugnent à livrer des armes à la rébellion syrienne, de crainte qu'elles ne tombent entre les mains de sa faction la plus islamisée et radicale.

Selon la presse turque, M. Erdogan a ainsi l'intention de présenter au président américain des preuves de l'utilisation d'armes chimiques par le régime de Damas, une des «lignes rouges» fixées par l'administration américaine.

Dimanche, son ministre des Affaires étrangères Ahmet Davutoglu a donné lors d'une visite à Berlin le «la» de la pression qu'entend exercer Ankara sur ses alliés en dénonçant leur «silence» et une ONU «incapable d'agir».

L'attentat de Reyhanli montre à quel point le régime de Damas est «sans pitié» et «combien il est urgent de trouver une solution à la crise», insiste un diplomate turc.