Le chef de l'opposition syrienne, Ahmed Moaz al-Khatib, qui a créé la surprise tant chez ses alliés que dans l'entourage de Bachar al-Assad en proposant de négocier avec le régime, est un homme prêt à prendre tous les risques pour défendre ses convictions.

Svelte et élégant, barbiche et cheveux gris, la voix calme mais décidée, M. Khatib n'a pas hésité à revenir en Syrie pour soutenir la révolte alors que d'autres opposants restaient confortablement à l'étranger.

Dans un pays où le conflit a coûté la vie à 60 000 personnes et où les rebelles traitent le chef de l'État d'«assassin», cet homme de religion sait se montrer iconoclaste. «Je dis à Bachar al-Assad: "regarde dans les yeux de tes enfants et essaie de trouver une solution". Nous nous entraiderons alors dans l'intérêt du peuple», a-t-il déclaré fin janvier.

Contesté dans son propre camp pour ce choix, il rétorque fermement: «Je ne peux accepter que ceux qui parlent de négociations soient accusés de trahison».

Né en 1960 à Damas dans une famille de notables religieux, il a suivi un parcours atypique. Il étudie la géophysique, obtient un diplôme de sciences politiques et relations internationales et poursuit des études islamiques.

Éclectique, il est à la fois membre de la Société syrienne de géologie et de la Société de psychologie.

Il travaille de 1985 à 1991 comme ingénieur en géophysique pour al-Fourat Petroleum Company, une coentreprise entre la compagnie nationale syrienne et des compagnies étrangères, dont l'anglo-hollandaise Shell.

En 1990, il succède à son père, cheikh Badreddine al-Khatib, comme imam de la prestigieuse mosquée des Omeyyades à Damas, mais il est rapidement relevé de ses fonctions par le régime en raison de ses prêches politiquement audacieux.

Il étudie et enseigne la charia (loi musulmane) et le Dawa (prédication) ainsi que la rhétorique islamique à l'Institut d'étude et d'enseignement des sciences islamiques à Damas. Il donne des conférences sur l'islam au Nigeria, en Bosnie, en Grande-Bretagne, aux États-Unis et aux Pays-Bas.

Après un court exil au Qatar, ce père de quatre enfants décide, lorsqu'éclate la révolte contre le régime de Bachar al-Assad en mars 2011, de retourner en Syrie et de participer au soulèvement notamment dans les régions rebelles près de Damas. Il est arrêté et harcelé à plusieurs reprises par les autorités et quitte le pays en juin 2012, s'installant au Caire.

La presse, qui ne le connaît pas, est surprise quand cet islamiste modéré est choisi en novembre à Doha pour diriger la «Coalition nationale de l'opposition et des forces révolutionnaires», censée représenter toute l'opposition syrienne.

Les militants et les combattants de la banlieue de Damas, qui connaissaient bien cet opposant charismatique, s'en félicitent.

«Nous avons confiance dans la personnalité de Moaz al-Khatib. Il est à la fois islamiste et modéré. Il est respecté. Il est venu à plusieurs reprises à Douma pour participer aux prières en hommage à ceux qui sont tombés pour la révolution», assure à l'AFP Abou Nadim, militant de cette ville rebelle près de Damas.

Quand le 30 janvier, il lâche sa bombe en proposant de négocier avec des membres du régime, il répond sans ambages à ses détracteurs, dénonçant ceux qui «s'asseoient sans rien faire et disent +Attaquez, ne négociez pas!+».

«Certains m'ont dit "les hommes politiques ne parlent pas ainsi"...je leur réponds "je ne suis qu'un révolutionnaire"», écrit-il sur sa page Facebook.

En prenant ainsi position, il a réussi à entamer un dialogue avec la Russie et l'Iran, les deux principaux alliés de Damas, et se sent manifestement assez fort pour poursuivre son initiative qui semble gêner le régime et embarrasser le Qatar et l'Arabie saoudite, principaux soutiens de la rébellion armée.