Fuyant leurs maisons bombardées, les rues où gisent les corps ensanglantés, les Kurdes de la petite ville syrienne de Rass al-Aïn se précipitent par milliers du côté turc tout proche.

Avec pour seuls bagages les vêtements qu'ils portent, femmes, enfants et vieillards se sont rués de l'autre côté de la frontière. Leur nombre atteignant des milliers, les soldats turcs ont ouvert le passage pour leur porter secours.

Rass al-Aïn est l'un des deux postes-frontière vers la Turquie contrôlés par l'armée syrienne, les opposants au président Bachar al-Assad ayant pris le contrôle de quatre autres. Un autre est sous contrôle de la milice kurde.

Samira Rushi et ses quatre enfants, vivent depuis leur fuite, avec 150 autres personnes, pour la plupart d'anciens voisins de la ville à majorité kurde, dans une seule maison à Ceylanpinar (sud-est de la Turquie).

Du toit de la maison voisine, ils aperçoivent Rass al-Aïn, nichée à flanc de colline. Lorsque la nuit tombe et qu'ils se rassemblent à 13 par pièce pour dormir, les bombardements et les tirs les tiennent éveillés.

«Il y avait des corps sur le sol, les maisons s'étaient effondrées et nous sommes partis. Ma maison était détruite par les bombes,» a expliqué Rushi qui s'inquiète pour son mari et ses autres voisins restés là-bas pour garder un oeil sur leurs maisons et «aider comme ils peuvent» à faire tomber Assad et son régime.

Sur plus de 11 000 Syriens qui ont fui leur pays vers les pays voisins en 24 heures la semaine dernière, 9.000 se sont tournés vers la Turquie pour échapper au combats entre rebelles et soldats dans la province de Hassaké (nord-est de la Syrie).

Les Nations unies estiment que le nombre de réfugiés syriens dans la région atteindra 700 000. Selon le responsable de l'aide humanitaire de l'ONU, les besoins en aide d'urgence en Syrie devraient dépasser quatre millions de dollars au début de 2013.

La Turquie a pris en charge un incroyable fardeau. Le dernier exode y a porté à plus de 120 000 le nombre des réfugiés syriens enregistrés.

Samira et les autres réfugiés qui ont parlé à l'AFP à Ceylanpinar se sont dits touchés de la manière dont les soldats turcs leur ont offert leur protection.

«Les soldats ont ouvert les portes, nous ont souhaité la bienvenue et nous ont beaucoup aidés», déclare Amira Taboush, une mère de cinq enfants. «Les gens d'ici nous ont aussi beaucoup aidés». «Ce sont des Kurdes.»

«Merci Erdogan pour ton aide,» interrompt une autre femme, debout dans la cuisine à côté de cageots d'aubergines, d'oignons et de poivrons, cadeaux, des voisins kurdes de Turquie.

À l'instar de leurs frères irakiens, les Kurdes de Syrie pourraient trouver un allié de poids dans le gouvernement du premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, estiment des analystes.

Certains groupes de rebelles arabes sunnites de la province voisine d'Alep considèrent les Kurdes comme des collaborateurs du régime Assad et se sont déjà heurtés à la milice kurde. Les réfugiés de Rass al-Aïn, eux, affirment soutenir la cause rebelle.

Ils se plaignent d'avoir subi des années de marginalisation, d'abus et de discrimination du gouvernement et ils disent que dans leur ville, la milice kurde alliée de l'Armée syrienne libre sont les principaux groupes d'opposition armés.

«Bachar est une ordure, une ordure, une ordure. Il est très cruel envers les Kurdes. Il ne nous laisse pas apprendre (notre propre langue et notre culture) et lorsque les Kurdes quittent l'université ils ne trouvent pas de travail au gouvernement,» affirme Taboush.

Si selon les rebelles, Rass al-Aïn est tombée, les réfugiés ont raconté que la ville était encore divisée en deux entre l'armée et les rebelles.

Quant à l'avenir, ce que veulent les réfugiés de Rass al-Aïn c'est la paix et rentrer chez eux dans un Kurdistan indépendant.

Lorsque Quchar Mustafa, 55 ans, s'est réfugiée en Turquie, elle et sa fille ont dû porter à tour de rôle son fils handicapé, Mohammed. Bras et jambes atrophiées, il est allongé par terre, immobile, sur le dos.

«Mon premier espoir est que Bachar s'en aille avec son régime et que les gens vivent en paix et en sécurité,» dit-elle en kurde. «Ensuite, nous voulons un Etat indépendant : un pays et la justice pour le peuple kurde».