Une équipe de La Presse a pénétré en Syrie, pays du Proche-Orient déchiré par un conflit aux allures de guerre civile depuis le Printemps arabe, il y a un an et demi. Le président Bachar al-Assad riposte de façon sanglante aux assauts des rebelles de l'Armée syrienne libre. La population souffre, ont constaté nos envoyés spéciaux.

Hier, à Azaz, je n'ai pas vu d'avion ni entendu un seul coup de feu. Le ciel était calme, bleu, immaculé. À se demander où est la guerre.

Pourtant, la guerre est là, dans les décombres, les maisons éventrées, la mosquée aux murs arrachés, l'hôpital en ruine. Elle est aussi dans la peur des gens qui scrutent le ciel, inquiets, en se demandant si le président Bachar al-Assad ne va pas leur larguer une autre bombe qui va tuer leurs femmes et leurs enfants.

Comme le 15 août, lorsqu'une bombe puissante lâchée sur la petite ville de 70 000 habitants a semé un vent de panique. Ce jour-là, Abo Shahdo, 50 ans, a entendu un gros boum et toutes les vitres de sa maison ont volé en éclats. Lorsqu'il est sorti dans la rue, les gens lui ont crié: «La maison de tes parents a été touchée!» Il a franchi les 500 mètres qui le séparaient de la maison familiale en courant comme un fou. Il ne restait que des décombres fumants et des restes humains empilés dans un nuage de poussière. Il a fouillé dans les débris et il en a extirpé un pied, celui de sa mère.

Le pic et la pelle

«J'ai vu le massacre», dit-il, adossé à un mur, face aux ruines. Le 15 août, il a perdu son père, sa mère, trois de ses frères, leurs femmes et leurs enfants. Au total, Abo Shahdo a enterré 17 membres de sa famille.

Aujourd'hui, il parle sans larmes dans la voix. Il est calme, mais son regard est dur, chargé de reproches. Il blâme la communauté internationale. «Pourquoi ne faites-vous rien? Vous êtes pourtant intervenus en Irak, en Afghanistan et en Libye.»

À Azaz, il est connu comme l'homme qui a tout perdu. Il veut reconstruire la maison de ses parents, celle où il a grandi.

Il n'est pas le seul à prendre le pic et la pelle. Azaz s'est vidée de sa population quand les soldats de Bachar al-Assad se sont battus contre les hommes de l'Armée syrienne libre (ASL).

Aujourd'hui, Azaz est contrôlé par l'ASL. La vie reprend tranquillement, entre deux roquettes lancées de la base aérienne de Menag, contrôlée par les soldats de Bachar al-Assad. Des roquettes qui font peu de dégâts si on les compare à la puissance des bombes lâchées par les avions Mig.

Les files d'attente s'étirent devant la boulangerie. Les gens attendent trois heures avant de repartir avec du pain. La farine vient de la Turquie, à 5 km d'Azaz.

Près de la mosquée, épicentre de la bataille, des enfants jouent avec les restes calcinés d'un tank. Mohammed a 14 ans et il est le premier à grimper sur le tank. Un grand sourire étire ses traits maigres.

- Est-ce que tu te sens en sécurité à Azaz?

- Il y a parfois des avions et des roquettes, répond-il.

- Veux-tu devenir un combattant?

- Bien sûr, dit-il avant de repartir à vélo en zigzaguant entre les débris.

Ville déserte

Le long du mur de la mosquée, une longue banderole affiche les noms des morts tombés sous les bombes ou les balles d'un tireur embusqué. Azaz a souffert, et la ville ne veut pas que ses habitants l'oublient.

La plupart des boutiques sont fermées et les rues poussiéreuses sont presque désertes. Des 70 000 habitants, à peine 20 000 sont restés.

Les écoles n'ont pas encore rouvert leurs portes. Deux ont été détruites. Dans un quartier, des hommes se sont regroupés pour donner des cours dans une maison privée. Les enfants sont entassés dans une pièce étroite, à quatre par banc. Ils étudient les mathématiques, la religion, l'arabe et l'anglais. Je leur ai demandé ce qu'ils pensent de la guerre.

Ils ont tous répondu en même temps en levant la main. Je me suis tournée vers mon traducteur. «Ils ont dit des gros mots», m'a-t-il expliqué sans me donner davantage de détails.

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Bienvenue dans le pays qui donne la chair de poule


On m'avait dit que la Syrie est à feu et à sang, que les soldats du président Bachar al-Assad bombardent les civils, que le bras armé de l'opposition, l'Armée syrienne libre (ASL), est surtout composé de civils mal entraînés qui dérapent parfois en exécutant froidement des soldats d'Assad qui ont le malheur de tomber entre leurs mains. Bref, que la Syrie s'enlise dans une guerre civile qui dure depuis 18 mois et a fait 29 000 morts. 

Un pays qui donne la chair de poule. 

Les journalistes entrent en Syrie par la Turquie. Hier matin, nous avons quitté Kilis, ville turque située à quelques kilomètres de la frontière syrienne.

Nous sommes partis en taxi, une vieille Mercedes défoncée. Entre la Turquie et la Syrie, un no man's land d'un kilomètre.

La Mercedes nous a abandonnés à la frontière turque. On a traversé à pied le no man's land quasi désert, ponctué de postes de contrôle. Passeport, tampon, passeport, tampon.

Autour, des barbelés, des tours de contrôle et trois baraques où s'entassent 5000 réfugiés qui attendent une place dans un camp à Kilis. Tout était calme. Seul le chant des oiseaux et des grillons perturbait le train-train tranquille de cette drôle de frontière, comme si la guerre ne se rendait pas dans ce no man's land au paysage rude où les arbres sont couverts de poussière.

Au dernier poste, un fonctionnaire de l'Armée syrienne libre a regardé nos passeports. «Canada, hein! Canada.» Il a jeté un oeil distrait sur la carte de presse de mon collègue photographe et fermé les yeux en balayant de la main mes excuses, car j'avais oublié ma carte à Kilis. Il a donné un vigoureux coup de tampon dans nos passeports. Un tampon de l'ASL. «Welcome», nous a dit-il avec un sourire onctueux. 

C'est là, à ce poste-frontière plutôt conciliant, que nous avons rencontré Mohammad, qui est devenu notre traducteur pour la journée: 25 ans, cheveux foncés légèrement ondulés, jeans ajusté, chemise rayée. Il vient de terminer ses études en langue anglaise à l'université.

Il rêvait de vivre à Dubaï pendant quelques années. Il voulait ramasser un petit pécule en enseignant l'anglais puis revenir à Azaz pour se marier et avoir des enfants. Mais la guerre a bousillé ses plans. Il est devenu membre de l'Armée syrienne libre, lui, le néophyte qui ne connaît rien aux armes et à la guerre. Il nous a accompagnés toute la journée dans les dédales d'Azaz. Il nous a présenté sa ville, qui a été bombardée et vidée de sa population. Une ville blessée, qui essaie aujourd'hui de se reconstruire.