Il était l'un des amis proches de Bachar al-Assad depuis son enfance. Mais le mois dernier, il est devenu le plus célèbre des déserteurs du régime syrien. Aujourd'hui, certains se demandent si le brigadier général Manaf Tlass peut sauver la Syrie. Beaucoup en doutent. Portrait d'un amoureux des cigares au passé trouble.

Manaf Tlass est photogénique et il semble le savoir. L'ex-brigadier général de la Garde républicaine syrienne aime se faire prendre en photo en habits militaires, affichant un air déterminé. Ou encore dans des habits décontractés, un cigare aux lèvres. Les comparaisons avec les plus célèbres clichés de Che Guevara pendant la révolution cubaine sont plutôt faciles à faire.

D'autant plus que l'homme de 48 ans a joint en juillet la «révolution syrienne» en faisant défection du régime de Bachar al-Assad.

De tous ceux qui ont quitté le bateau du régime, Manaf Tlass était le plus près du président. Les deux hommes ont été élevés dans les mêmes cercles de l'élite de Damas. D'abord un proche du frère aîné de Bachar, Basil, mort en 1994, il s'est ensuite rapproché de l'héritier du régime autoritaire. Il gravitait autour du pouvoir syrien depuis que Bachar al-Assad avait pris les rênes du pays en 2000, après le décès de son père.

Les deux hommes se sont brouillés après le début du soulèvement en mars 2011. Manaf Tlass privilégiait la négociation avec l'opposition au régime plutôt que la répression armée et serait tombé en disgrâce plusieurs mois avant sa défection.

Oreilles tendues

Dès son départ de Syrie, le mois dernier, l'ex-militaire syrien, qui a trouvé refuge à Paris, a vite fait de se proposer pour faciliter la transition en Syrie. Et autant aux États-Unis qu'en Arabie saoudite, des oreilles se sont tendues.

Selon le Wall Street Journal, qui a interviewé plusieurs sources au Département d'État américain, M. Tlass serait un candidat potentiel «pour ramener l'ordre à Damas et sécuriser les stocks d'armes chimiques» au sein d'un gouvernement de transition.

À Riyad, le déserteur a aussi reçu un accueil plus que favorable. Le royaume saoudien ne voit pas d'un mauvais oeil que M. Tlass soit issu de la majorité sunnite du pays et ce, même si à Damas, Manaf Tlass est plus connu pour son amour du vin rouge et des femmes que pour sa piété. Plusieurs observateurs ont d'ailleurs été abasourdis de voir M. Tlass compléter un pèlerinage à La Mecque dans les jours qui ont suivi sa désertion.

Frasques de playboy

Si dans les hautes sphères du pouvoir, Manaf Tlass intéresse, au sein de l'opposition syrienne, il a beaucoup plus d'ennemis que d'amis. Ni l'Armée syrienne libre ni le Conseil national syrien - les deux principales organisations de la rébellion - ne lui prêtent la moindre attention. «Il représente le régime. Il a profité pendant des années de tous les avantages de la dictature. Oui, il s'est opposé à la manière dont Bachar al-Assad a réprimé les manifestations, mais c'est trop peu, trop tard», note Rafif Jouejati qui, des États-Unis, prête main-forte au soulèvement syrien.

Selon Sami Aoun, expert du Moyen-Orient et professeur à l'Université de Sherbrooke, il serait difficile pour les Syriens d'oublier que le père de Manaf Tlass, Mustafa Tlass, a participé à la prise du pouvoir du parti Baas avant de devenir ministre de la Défense pendant 40 ans, de 1972 à 2002. Ses deux fils ont tous les deux bénéficié de leur position privilégiée aux yeux des Assad. Manaf est connu pour ses frasques de playboy plus que pour ses grandes aptitudes politiques.

M. Aoun ne croit pas que les Tlass pourraient être appelés à jouer un grand rôle dans la Syrie post-conflit. «Ce n'est pas une icône révolutionnaire. Mais en ce moment, les États-Unis ont besoin de toutes les défections qui permettent de déstabiliser le régime en ébranlant l'image de loyauté qui lui est vouée». Dans ce rôle-là, Manaf Tlass a fait mouche.