Le premier ministre syrien - fidèle du parti Baas depuis des décennies - a claqué la porte au début de la semaine. À Alep, au milieu des combats, quatre officiers de l'armée syrienne ont décidé de faire le saut dans le camp des rebelles cette semaine. Ils ont ainsi imité des dizaines d'autres militaires de haut rang qui ont déjà déserté l'armée loyale à Bachar al-Assad. Alors que les défections se font de plus en plus nombreuses, que reste-t-il du régime de Bachar al-Assad?

Portrait d'un régime forteresse qui ressemble de plus en plus à un château de cartes.

Il y a deux mois, Riad Farid Hijab a été assermenté par Bachar al-Assad lui-même au poste de premier ministre. Le président syrien se sentait assez en confiance pour se tenir à quelques pas du politicien sunnite. Ce que le leader autoritaire ne savait pas, cependant, c'est que pendant qu'il prenait la pose avec le nouveau premier ministre, ce dernier manigançait sa fuite.

Cette défection ultramédiatisée a eu lieu lundi. Dans un communiqué de presse, le premier ministre a annoncé qu'il avait quitté la nuit précédente le territoire syrien pour la Jordanie voisine. Il planifiait apparemment son geste depuis des mois avec l'aide de l'Armée syrienne libre, elle-même composée de déserteurs. «J'annonce aujourd'hui ma défection du régime meurtrier et terroriste et j'annonce que je m'engage dans la révolution de la liberté et de la dignité», a-t-il annoncé.

Dans les faits, Riad Farid Hijab a réussi à quitter la Syrie dans la nuit de mardi à mercredi et avait donné des informations contraires pour tromper le régime. Mais qu'importe les détails de son évasion, Riad Farid Hijab, ministre de l'Agriculture avant d'être premier ministre, est devenu le politicien le plus haut placé à sauter du bateau Assad.

Il a ainsi rejoint deux douzaines d'officiers de l'armée, huit diplomates et quatre parlementaires qui ont tourné le dos au régime autoritaire. En tout, depuis juin 2011, au moins 41 gros bonnets du régime ont changé de camp.

Le début de la fin

Peut-on voir dans ces défections l'arrêt de mort du régime Assad, mis sur pied par le père Hafez en 1970 et repris en héritage par Bachar, second fils, en 2000? Selon les experts, il est encore trop tôt pour le dire. L'immense système autoritaire, basé sur le patronage et une horde d'alliances, n'a pas encore été atteint au coeur ni par les défections médiatisées des dernières semaines ni par l'attentat suicide du 18 juillet dernier qui a emporté des membres de la garde rapprochée du président.

«Ceux qui sont partis ne faisaient pas partie du cercle restreint du président, explique David Lesch, professeur à l'Université Trinity du Texas et auteur d'un livre qui paraîtra ce mois-ci aux Presses de l'Université Yale, The Fall of the House of Assad (La chute de la maison Assad). Ce dernier, qui a aussi signé une biographie de Bachar al-Assad, connaît bien le leader syrien pour l'avoir côtoyé et interviewé à maintes reprises au cours des 10 dernières années.

«Le poste de premier ministre, par exemple, est surtout administratif sous Assad. Les premiers ministres sont quelque peu interchangeables», estime M. Lesch. Les autres déserteurs les plus médiatisés, dont le brigadier général Manaf Tlass, ancien ami proche de Bachar al-Assad, avaient tous eu des différends avec le président au cours de la dernière année ou avaient fait l'objet d'une rétrogradation.

Machine sécuritaire

Il faut aussi comprendre la taille de l'appareil sécuritaire et étatique pour voir que les défections récentes sont pour le moment une goutte dans la mer du régime. Avec 22 millions d'habitants, la Syrie est au 53e rang des pays les plus populeux du monde, mais possède la 13e armée en importance du monde, forte de 315 000 hommes.

Cette armée est largement sous le contrôle des alaouites, minorité religieuse à laquelle appartient Bachar al-Assad. À ce jour, les principales défections observées au sein de l'armée l'ont été parmi les militaires de haut rang sunnites.

Le dispositif policier est tout aussi lourd. Selon les estimations d'experts, on compte en Syrie de 50 000 à 70 000 policiers et agents secrets, soit 1 agent pour 240 personnes.

Selon David Lesch, cette titanesque machine sécuritaire tient toujours bon en Syrie, et ce, malgré les quelque 40 000 déserteurs qui se seraient joints à l'Armée syrienne libre, selon les estimations du commandant des rebelles, Riad al-Asaad, ancien colonel de l'armée de l'air.

Un soutien fragilisé

Avant le début du soulèvement, le soutien de Bachar al-Assad ne se limitait pas à l'appareil de sécurité. Le président pouvait aussi compter sur les minorités du pays - alaouites, chrétiens, druzes et soufis, qui craignent le règne de la majorité sunnite -, ainsi que sur une partie de l'élite économique sunnite, dont Bachar al-Assad protégeait les privilèges. «Avec la répression des derniers mois, plusieurs des partisans de Bachar al-Assad sont maintenant assis entre deux chaises», note David Lesch, qui ajoute qu'il suffirait de peu de choses pour que le vent tourne pour de bon.

Les premiers boulets rouges

En ce sens, les défections sont autant de boulets qui font peu à peu des trous dans la forteresse du régime. «Les perceptions sont souvent plus importantes que la réalité et la perception est que le régime commence à fléchir et devient de plus en plus sectaire. Si assez de Syriens partagent cette perception, une cascade de défections pourrait avoir lieu et pourrait avoir un réel impact sur le régime», remarque à ce sujet David Lesch.

Cette lecture, Houchang Hassan-Yari, professeur de sciences politiques au Collège militaire royal du Canada, la partage. «Tout ça montre que le pouvoir est chancelant. On voit notamment que le parti Baas n'est pas aussi solidaire du président qu'on aurait pu le croire. Notamment, pendant la guerre en ex-Yougoslavie, on n'a jamais vu de défection au sein du camp de Milosevic», compare M. Hassan-Yari.

Pour limiter les pots cassés, la télévision d'État syrienne a fait d'ailleurs des pieds et des mains au cours des derniers mois pour minimiser l'impact des départs. Lundi, les médias officiels ont affirmé que Bachar al-Assad avait renvoyé son premier ministre et non pas que ce dernier avait pris congé de son ancien maître.

Sort incertain

S'ils s'entendent sur le rôle des défections dans l'opinion publique, les deux experts interrogés par

La Presse n'ont pas le même pronostic à l'égard du sort du régime Assad. Si M. Hassan-Yari croit que Bachar al-Assad finira par tomber comme les Ben Ali et les Moubarak de ce monde, David Lesch, quant à lui, croit qu'il s'agrippera au pouvoir coûte que coûte.

«Mais qu'il reste au pouvoir ou non, Bachar al-Assad, dans mon esprit, est déjà tombé. Le règne de la maison d'Assad, au pouvoir depuis 40 ans, est terminé. Il n'a plus de légitimité», laisse tomber l'auteur ,qui ne voit plus en Bachar al-Assad - politicien pour lequel il a déjà eu beaucoup de respect - que le roi d'un château de cartes jouées d'avance.

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Le soulèvement en chiffres

Durée du soulèvement: 16,5 mois

Première manifestation: 18 mars 2011

Nombre de morts: 21 000 (source: Observatoire syrien des droits de l'homme)

Défections: au moins 26 officiers militaires, 3 ministres, 4 parlementaires, 8 diplomates (source: Al-JazIra)

Réfugiés: 50 227 en Turquie, 45 869 en Jordanie, 36 841 au Liban et 13 587 en Iran (source: Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, UNHCR )

Personnes déplacées en Syrie: 1,5 million (SOURCE: UNHCR)