Abou Ziyad était content de sa journée. Il a réussi à mettre la main sur un fusil de précision, un modèle de fabrication russe appelé Dragunov.

Il l'a payé 5000$ à un marchand d'armes à Beyrouth. C'est cher. Mais pas tant que ça quand on pense qu'entre les mains d'un tireur d'élite, ce fusil de sniper évite le gaspillage de balles.

Doté d'un cou de boeuf et d'immenses paluches, Abou Ziyad est originaire d'un territoire qui enjambe la frontière entre le Liban et la Syrie.

Sa tribu vit des deux côtés d'une frontière qu'elle ne reconnaît pas. Il est chez lui aussi bien à Wadi Khaled, au Liban, qu'à Homs, en Syrie. Position privilégiée pour se livrer à toutes sortes de trafics. Avant le soulèvement contre le régime de Bachar al-Assad, il achetait de l'essence et des cigarettes à bas prix en Syrie, pour les revendre au Liban. Aujourd'hui, son commerce va en sens inverse. Et ce qu'il vend, ce sont des armes.

«En Syrie, tout le monde a besoin d'armes. Et ce qu'il faut, ce sont de bonnes armes pour le combat de rue», dit Abou Ziyad qui se présente, bien sûr, sous un faux nom.

Ses livraisons comprennent habituellement des fusils d'assaut, surtout des AK-47, dont le prix a quintuplé sur le marché libanais depuis un an.

Les armes sont transportées par groupes de cinq, sur des motos qui pourraient prendre de plus importantes charges. Mais si un livreur se fait prendre en chemin, mieux vaut éviter les pertes trop lourdes. About Ziyad évalue ses pertes à 20%.

Sa méthode de transport artisanale lui impose des limites: «Je ne peux pas transporter des lance-roquettes en scooter.»

Une autre planète

Ce n'est pas tout d'acheter des armes, encore faut-il savoir qui va les utiliser. Il y a des clients qui s'empressent de revendre leur fusil avant de disparaître dans la brume, confie Abou Ziyad.

Religieux et conservateur, il vient d'une région où les hommes ne serrent pas la main des femmes. Et où les femmes sont vêtues de longs manteaux et d'un hidjab. Vu de Beyrouth, son village pourrait aussi bien se trouver sur une autre planète.

Il nous explique que ce n'est pas tout d'acheter des armes. Encore faut-il s'assurer qu'elles tomberont dans de bonnes mains. Des mains qui savent tirer. Son Dragunov, par exemple, il le destine à un soldat de l'armée syrienne qui s'est joint aux rebelles.

Quand il a le temps, Abou Ziyad entraîne aussi les nouvelles recrues à se servir de leurs armes. Où a-t-il appris à le faire, lui? «Ici, à la frontière, on vient au monde avec un fusil entre les mains.»

D'où vient l'argent? Parfois, dit-il, de la poche même de ses clients. D'autres fois, des dons de Syriens exilés à l'étranger. De toute façon, Abou Ziyad se décrit modestement comme un minuscule maillon dans la chaîne du trafic d'armes. Celui qui ne fait que transmettre, rien de plus.

Pas le choix

L'homme de 33 ans affirme qu'il aimait bien son ancien trafic. Mais les siens font face à une force démesurée. Lors de notre rencontre, la semaine dernière, il pensait aider l'Armée syrienne libre à enfouir des mines autour du quartier de Baba Amr, à Homs, pour la protéger contre l'invasion des blindés de Bachar al-Assad. Trois jours plus tard, les combattants rebelles avaient fui Baba Amr, laissant entrer les blindés. Les fusils d'assaut et les lance-roquettes n'ont pas suffi à les stopper.

Abou Ziyad affirme qu'il se livre à son trafic par défaut.

«Je ne voulais pas être marchand d'armes, mais je n'ai pas eu le choix.» Avec les revers que subissent actuellement les opposants syriens, il aura peut-être bientôt l'occasion de reprendre son ancien commerce.