Le roi Abdallah II de Jordanie a accepté jeudi la démission de son premier ministre Aoun Khassawn, l'accusant de freiner les réformes réclamées par la rue et dont il avait été présenté comme «la dernière chance» à son arrivée au pouvoir il y a six mois.

M. Khassawneh, qui était jeudi en visite en Turquie, est remplacé par Fayez Tarawneh, 63 ans, qui a été premier ministre et chef du palais royal à la fin des années 1990.

Les islamistes, principale force d'opposition, ont estimé que ce changement montrait en fait l'absence de volonté de mener les réformes promises et ouvrait une période de grande incertitude.

«La Jordanie traverse une période critique et ne peut pas se permettre de retard dans la mise en place des réformes nécessaires», a écrit le roi dans une lettre à M. Khassawneh, selon le palais.

Le pays connaît en effet des manifestations régulières depuis janvier 2011 -d'une ampleur nettement moindre que ses voisins touchés par le Printemps arabe- réclamant des réformes politiques et économiques ainsi que la fin de la corruption, sous la houlette de l'opposition.

Les manifestants réclament en particulier que le chef du gouvernement soit issu de la majorité parlementaire et non plus désigné par le roi. Ils dénoncent aussi l'arrestation de certains opposants, ainsi que l'absence de mesures significatives contre la corruption dans ce petit pays de 6,5 millions d'habitants, dont 70% ont moins de 30 ans.

«J'ai suivi le travail du gouvernement ces derniers mois et j'ai vu que les choses n'avançaient pas. Pour l'instant, les accomplissements sont en deçà de ce que nous attendions», a ajouté le roi, accusant le gouvernement d'avoir donné la priorité à «certaines lois» plutôt qu'aux réformes essentielles.

À son arrivée en octobre, M. Khassawneh, ancien vice-président de la Cour internationale de justice de 62 ans, avait assuré avoir «reçu les garanties du roi» qu'il aurait «pleine souveraineté» en tant que premier ministre pour mener les réformes.

Mais ces dernières se sont fait attendre, à l'exception d'un projet de nouvelle loi électorale approuvé début avril par le gouvernement, qui introduit une dose de proportionnelle, mais continue selon l'opposition de favoriser l'élection de députés loyalistes non représentatifs.

«La loi n'est pas ce à quoi j'aspirais, mais je pense qu'elle convient à cette période de transition», avait écrit le premier ministre dans un courrier au roi.

Pour Zaki Bani Rshied, chef du bureau politique du Front d'action islamique (FAI), le parti des Frères musulmans, le départ de M. Khassawneh «montre que la souveraineté dont le premier ministre avait parlé n'existe pas en Jordanie».

«Cela révèle le niveau des luttes de pouvoir au sein de l'État. Malheureusement, les services de sécurité (et leurs importants pouvoirs) l'ont emporté», a-t-il ajouté, prévenant que s'ouvrait désormais «une phase pleine d'incertitude politique».

«Tous ces discours sur les réformes que l'on a entendus ne voulaient rien dire. Nous avons la preuve qu'il n'y a aucune volonté d'engager des réformes», a insisté le responsable du FAI, dont la formation avait refusé de participer au gouvernement de M. Khassawneh.

De plus, selon Mohamed Masri, analyste politique à l'Université de Jordanie, le nouveau premier ministre, M. Tarawneh, «n'est pas connu pour être un homme politique à l'esprit ouvert».