Après être entré clandestinement en Syrie, le chirurgien français Jacques Bérès a soigné pendant deux semaines les blessés de Homs. Depuis, il passe son temps à témoigner de ce qu'il y a vu. En un mot: l'horreur.

Autour de la maison transformée en hôpital de fortune, il y avait de la fumée, des immeubles en flammes, des carcasses d'autos calcinées. «On entendait des pleurs, des cris, des hurlements, c'était infernal.»

Cofondateur de Médecins sans frontière (MSF), le chirurgien Jacques Bérès n'en était pas à sa première mission humanitaire en zone de guerre quand il est entré clandestinement à Homs, le 10 février.

La feuille de route de l'homme de 71 ans tient du catalogue des pires conflits des dernières décennies: Viêtnam, Liban, Rwanda, Irak. Pourtant, ce qu'il a vu à Homs lui a coupé le souffle.

Au début du mois de février, l'armée syrienne a lancé une offensive contre l'un des quartiers de cette grande ville syrienne, Baba Amr, épicentre de la révolte contre le régime de Bachar al-Assad. Progressivement, la pluie de fer et d'acier s'est aussi abattue sur les quartiers voisins. Y compris Inshaat, où les opposants du régime avaient aménagé l'hôpital où Jacques Bérès a opéré 89 blessés - et en a vu mourir des dizaines d'autres.

Les patients y arrivaient par vagues, au fil des bombardements. L'eau était insalubre, l'électricité dépendait de la génératrice, laquelle dépendait de l'approvisionnement en mazout.

Un bouquet d'ampoules à basse intensité éclairait  -mal- l'unique table chirurgicale. Jacques Bérès devait opérer avec une lampe frontale.

La table d'opération tournait jour et nuit. «Nous avions très peu de lits postopératoires, on devait faire repartir les patients alors qu'ils étaient encore presque endormis.»

Parmi ces patients, il y avait quelques combattants de l'Armée syrienne libre. Mais surtout, des civils. Parmi eux, un nombre étonnant d'enfants.

Le chirurgien à la tête blanche a vu passer tant de bambins blessés qu'il a d'abord cru qu'ils étaient spécifiquement visés par le régime. Puis, il a compris que la Syrie a une population très jeune. Le nombre d'enfants blessé était proportionnel à leur poids démographique...

Un de ces enfants a ému Jacques Bérès aux larmes. «Il était d'une beauté angélique, avec ses traits doux et sa casquette sur le front.» Le gamin avait eu l'abdomen tranché en deux dans un bombardement. Il n'y avait plus rien à faire.

Opérer sous les bombes

Ce qui était le plus difficile, à Homs? Les bombardements, bien sûr. À un moment, les obus se sont mis à tomber si près de l'hôpital que l'équipe médicale a envisagé de déménager en banlieue de Damas. Un homme est parti en éclaireur et il a été arrosé de tirs. «Nous avons eu peur de tomber dans une embuscade», dit le Dr Bérès. Le déménagement n'a pas eu lieu.

L'hôpital manquait de masques d'anesthésie pour enfants. Les masques pour adultes «fuyaient et il fallait ventiler à la main.» En absence de potences, les grands hommes étaient réquisitionnés pour tenir les solutés au-dessus des blessés.

Mais le pire, c'était ce qui se passait à l'extérieur de l'hôpital. Pour le Dr Bérès, la situation s'approchait de  ce qu'ont vécu les habitants de Grozny, en Tchétchénie.

«Les Russes ont fait la même chose que Bachar al-Assad, ils ont encerclé la ville, l'ont assiégée, bombardée, pilonnée à l'aveugle, sans aucune pitié. C'est de l'assassinat de masse.»

Il a aussi trouvé à Homs le même type d'islam modéré que dans la capitale tché-tchène. Et un tissu urbain semblable, avec «des bouts de campagne, de petits potagers, et des poules qui picorent.» Décor paisible ravagé par les bombes.

Mission dangereuse

Le vieux chirurgien a mis du temps à organiser sa mission. Ce vétéran de MSF et de Médecins du monde ne pouvait pas compter sur l'appui de ces organisations, qui refusent d'entrer dans des territoires interdits d'accès.

C'est effectivement toute une responsabilité que d'envoyer un médecin sans visa dans un pays où il risque d'être arrêté, reconnaît le chirurgien, qui a fini par trouver deux commanditaires: UAM93, un regroupement d'associations musulmanes en banlieue de Paris, et France-Syrie Démocratie.

«Au début, on ne voulait pas qu'il y aille, nous avions peur qu'il se fasse emprisonner ou tuer», dit M'hammed Henniche, président d'UAM93. «Mais on a compris qu'il allait partir quand même. Il nous a un peu forcé la main...»

Jacques Bérès est le seul médecin étranger à avoir soigné des blessés à Homs pendant le siège de Baba Amr. Il est donc l'un des rares témoins étrangers d'une offensive qui a finalement forcé les combattants insurgés à fuir vers d'autres quartiers, dont celui de Karm al-Zeitoun, désormais visé par les forces du régime.

Depuis que la révolte a éclaté en Syrie, il y a un an, le gouvernement de Damas a interdit le pays autant aux médias étrangers qu'aux organisations humanitaires, y compris la Croix-Rouge. Jacques Bérès est l'une des rares voix indépendantes à pouvoir témoigner de ce qui se passe en Syrie depuis un an.

Alors, il témoigne. «Il faut que le monde soit au courant du drame de la Syrie. C'est une tragédie, et c'est honteux que la communauté internationale n'arrive pas à faire plus», dit le médecin, selon qui, à Homs, la population se sent «abandonnée et désespérée.»

Un désespoir qui migre maintenant vers d'autres quartiers et d'autres villes, visés à leur tour par les canons de Bachar al-Assad.

Pendant ce temps, chez les Assad

Des bougeoirs et des tables valant près de 15 000$. Des bijoux combinant or, diamants, onyx, améthyste. Un vase de 4000$.

Voilà un aperçu de ce qui préoccupait Asma Assad pendant que sa ville natale, Homs, était pilonnées par l'armée du président Bachar al-Assad ,son mari.

Le journal britannique The Guardian a mis la main, cette semaine, sur quelque 3000 courriels puisés dans la correspondance du président syrien et de sa femme. Vous vous demandez à quoi pensent les dictateurs? Ils magasinent sur l'internet, téléchargent des chansons sur iTunes... Parfois, ils reçoivent aussi des conseils de leurs voisins, tels que l'Iran.

Dans un courriel, Bachar al-Assad se moque de ses prétendues réformes démocratiques. Dans un autre, sa femme discute des vertus d'une paire de talons aiguille à 5000$.

Le journal britannique a réussi à faire authentifier plusieurs de ces messages par les correspondants du couple présidentiel. Mais il n'a pas pu les vérifier tous, évidemment.

Dans un courriel poétique à sa femme, Bachar al-Assad transcrit les paroles d'une chanson de l'Américain Blake Shelton. Le chanteur country se plaint d'avoir le coeur brisé. Puis (traduction libre): «L'homme que j'ai été récemment n'est pas l'homme que je veux être.»

Nous le souhaitons vivement, monsieur Assad...