Le gouvernement égyptien a annoncé sa démission au troisième jour d'affrontements meurtriers opposant forces de l'ordre et manifestants réclamant la fin du pouvoir militaire en Egypte qui fait face à sa plus grave crise depuis la chute de Hosni Moubarak.

Dans la nuit de dimanche à lundi, deux personnes ont été tuées à Ismaïliya, selon des sources médicales dans un hôpital de cette ville sur la mer Rouge, portant à 26 le bilan des décès depuis samedi.

Le gouvernement a présenté sa démission au Conseil suprême des forces armées (CSFA) au pouvoir depuis le départ du président Moubarak en février «au vu des circonstances difficiles que traverse actuellement le pays», a annoncé son porte-parole Mohamed Hijazi, cité par l'agence officielle Mena.

Peu après l'annonce, la télévision publique a affirmé que l'armée avait refusé cette démission, citant une source militaire. Mais le ministre de l'Information Osama Haikel, cité par la Mena, a déclaré ensuite que l'armée ne s'était pas encore prononcée.

Sur la place Tahrir, les dizaines de milliers de manifestants scandaient toujours «Le peuple veut la chute du maréchal» Hussein Tantaoui, à la tête du conseil militaire et dirigeant de facto de l'Egypte.

«C'est bien. Maintenant c'est le CSFA qui doit démissionner et répondre de ses actes devant nous», a réagi Tarek Sabri, un enseignant de 35 ans.

«Nous avons besoin d'un gouvernement qui a de véritables pouvoirs. Aucun gouvernement sous l'égide du CSFA n'a de valeur», a renchéri Mohammed al-Hita, militant de 24 ans.

Cette démission intervient à une semaine des premières élections législatives depuis le départ de M. Moubarak, chassé du pouvoir par une révolte populaire le 11 février, alors que les heurts font craindre que le scrutin, prévu sur plusieurs mois, soit émaillé de violences.

Selon le ministère de la Santé, 24 personnes --23 au Caire, une à Alexandrie (nord)-- ont été tuées et 1.900 blessées depuis samedi, notamment sur la place Tahrir au Caire, épicentre du soulèvement populaire du début de l'année.

Le CSFA a appelé lundi soir les forces politiques à une réunion d'urgence «pour examiner les causes qui ont aggravé la crise actuelle et les moyens d'en sortir le plus rapidement possible».

Après trois jours d'affrontements meurtriers, le CSFA a en outre annoncé avoir chargé le ministère de la Justice de mettre en place un comité chargé de faire la lumière sur les violences.

La colère gronde de plus en plus contre le conseil militaire accusé de vouloir se maintenir au pouvoir, de ne pas tenir ses promesses de réformes et de poursuivre la politique de répression de l'ère Moubarak.

Selon Amnesty international, le CSFA «a étouffé la révolution» et certaines violations des droits de l'Homme commises depuis qu'il est au pouvoir sont pires que sous le régime Moubarak.

Des mouvements égyptiens, dont la Coalition des jeunes de la révolution et le mouvement du 6 avril, ont appelé à une manifestation massive mardi à 16h00 locales sur Tahrir pour réclamer la fin du pouvoir militaire et la formation d'un «gouvernement de salut national».

Et des dizaines de diplomates égyptiens ont appelé à «la fin immédiate des attaques contre les manifestants pacifiques».

Dans la nuit de lundi à mardi, de violents affrontements se poursuivaient dans des rues adjacentes à Tahrir menant au ministère de l'Intérieur, cible privilégiée des manifestants et sous forte garde des forces anti-émeutes.

La télévision publique a continué de retransmettre ces scènes en direct, comme elle le fait depuis le début des affrontements.

Ailleurs dans le pays, police et manifestants s'opposaient à Alexandrie et Qena (centre), Ismaïliya et Suez, sur la mer Rouge, et el-Arich dans le Sinaï.

Le ministère de l'Intérieur a accusé dans un communiqué les manifestants d'avoir lancé des cocktails molotov et tiré avec des fusils de chasse sur les forces de l'ordre, en blessant 112. Le communiqué fait état de «116 émeutiers arrêtés au Caire, 46 à Alexandrie et 29 à Suez».

Dans le même temps, la Ligue arabe, qui s'exprimait pour la première fois sur ces événements, a appelé au calme, exhortant les acteurs politiques à travailler au «changement démocratique».

Les slogans des manifestants visent en particulier le maréchal Hussein Tantaoui, un cacique de l'ancien régime.

«Nous avons renversé seulement Moubarak, mais son régime et la junte militaire sont encore là», affirme Hossam el-Hamalawy, un militant de gauche, ajoutant: «Ce qui ce passe, c'est la suite la révolution».

«Les salauds qui nous dirigeaient avant sont toujours en place. Je ne vois aucune différence entre aujourd'hui et le 25 janvier», date du début du soulèvement populaire, dénonce Mohammad Anwar, un employé de 31 ans.

L'armée s'est engagée à rendre le pouvoir aux civils après une élection présidentielle qui doit suivre les législatives mais dont la date n'est toujours pas connue.

L'armée a dit «regretter» les violences, tout en réaffirmant s'en tenir au calendrier électoral établi.

La chef de la diplomatie européenne Catherine Ashton et Ban Ki-Moon, le secrétaire général de l'ONU, ont appelé au «respect des droits de l'Homme».

Paris, Londres, Rome et Berlin ont fait part de leur préoccupation, tandis que les Etats-Unis, «profondément inquiets», ont appelé «à la retenue».