La décision de la Ligue arabe de suspendre la Syrie de ses travaux accroît l'isolement international du régime de Bachar al-Assad mais il n'est pas sûr que cela suffise pour faire plier Damas et calmer la crise sur le terrain, estiment des diplomates et des spécialistes.

Après la Libye de l'ex-dirigeant Mouammar Kadhafi, suspendue en février, la Syrie est le deuxième pays secoué par le «Printemps arabe» à subir un tel revers de la part d'une institution longtemps muette face aux régimes autoritaires de cette partie du monde.

«C'est une décision très importante. Pour la première fois, la Syrie officielle perd sa couverture arabe», estime Joseph Bahout, chercheur spécialiste de la Syrie à Sciences-Po Paris, en rappelant que 18 pays membres de la Ligue sur 22 ont voté pour mettre Damas sur la touche.

«Au niveau du fonctionnement de l'ordre politique arabe, cette décision est inédite et très inattendue», ajoute-t-il.

La Ligue a décidé de suspendre la Syrie de ses travaux à compter de mercredi, jusqu'à ce qu'elle honore son engagement d'appliquer un plan arabe de sortie de crise prévoyant en premier lieu la fin des violences qui ont déjà fait, selon l'ONU, plus de 3500 morts depuis la mi-mars.

Pour l'opposition, conviée dans les prochains jours au siège de l'organisation au Caire pour élaborer un «projet commun», «c'est un début de reconnaissance quasi-officielle», a-t-il déclaré à l'AFP.

L'adhésion de la Syrie en tant qu'État membre n'est toutefois pas suspendue, contrairement à ce qui avait été décidé en 1979 pour l'Égypte à la suite de la signature des accords de paix israélo-égyptiens.

Concrètement, les diplomates et ministres syriens ne participeront plus aux réunions et aux travaux de la Ligue, mais la Syrie en tant que telle reste membre de la principale institution panarabe.

La nature des «sanctions économiques et politiques» brandies samedi n'a pas non plus été précisée et la demande de rappel des ambassadeurs des pays arabes à Damas laissée de fait à la discrétion des différentes capitales.

Quatre pays du Golfe ont toutefois déjà retiré leurs représentants à Damas: le Qatar, l'Arabie saoudite, Bahreïn et le Koweït.

Malgré ces bémols, la décision des Arabes renforce, sur la scène internationale, les pays occidentaux favorables à des pressions accrues sur Damas, et pourrait affaiblir le soutien de la Russie et de la Chine au régime syrien au sein du Conseil de sécurité de l'ONU.

«Maintenant que la Ligue arabe s'est prononcée de manière décisive, il revient au Conseil de sécurité de se montrer à la hauteur et d'apporter une réponse effective à la crise» en Syrie, estime Philip Luther, chef du département Moyen-Orient de l'organisation Amnesty International.

«La question est maintenant de savoir si les pays qui bloquent toute action internationale effective contre la Syrie, en particulier la Russie et la Chine, vont reconnaître leur isolement», ajoute-t-il dans un communiqué.

Le régime de Damas a réagi avec virulence au camouflet infligé par ses pairs arabes en jugeant cette décision «illégale» et motivée par des pressions américaines et occidentales.

«Vu le comportement de ce régime, il va probablement choisir le raidissement, et l'option sécuritaire va prendre plus d'ampleur», redoute Joseph Bahout.

«Nous allons essayer d'envoyer des observateurs civils pour la protection de la population, mais évidemment il n'est pas sûr que le gouvernement syrien accepte et probablement il va refuser», ajoute un diplomate arabe en poste auprès de la Ligue.

Le risque d'une radicalisation des manifestations des adversaires du régime est également présent s'il n'y a pas de progrès politique. «On peut craindre que les manifestations, jusqu'à présent pacifiques, se transforment en lutte armée», affirme ce diplomate à l'AFP sous couvert de l'anonymat.