Six mois après le début du soulèvement qui a renversé Hosni Moubarak, la transition égyptienne reste incertaine, ballottée entre une démocratisation promise mais encore en pointillés, et la possibilité de voir un système autoritaire perdurer sous une autre forme.

La place Tahrir, haut lieu de la révolte entamée le 25 janvier, est à nouveau l'épicentre de manifestations réclamant une politique plus résolue pour tourner la page de l'ancien régime.

L'armée qui a pris les commandes subit l'usure du pouvoir: adulée il y a six mois, elle est aujourd'hui suspectée de freiner les changements, de perpétuer les méthodes répressives d'autrefois et de vouloir s'incruster à la tête du pays.

Des dizaines de procès sont en cours contre des membres de l'ancien pouvoir, et celui de M. Moubarak et ses deux fils doit s'ouvrir le 3 août. Mais la justice donne aussi le sentiment d'être lente et opaque.

De petits partis fleurissent chaque semaine, profitant d'une liberté nouvelle. Le parti du raïs, qui faisait autrefois la pluie et le beau temps, a été dissous, et son siège, aux abords de la place Tahrir, incendié.

Toutefois, aucun leader charismatique ni aucun parti démocratique fort n'a encore émergé.

Des élections législatives sont annoncées pour l'automne, mais les Frères musulmans apparaissent comme la force la mieux organisée, et dans les provinces les réseaux clientélistes de l'ancien pouvoir pourraient refaire surface.

«C'est une révolution, mais sans cadres, sans parti, sans leader, sans idéologie précise. C'est une révolution qui n'est pas achevée», constate Hassan Naféa, éditorialiste du quotidien indépendant al-Masri al-Youm.

«Nous sommes dans une période transitoire. On ne voit pas clairement quel sera le régime qui attend l'Egypte. Nous allons encore passer par des crises, par des impasses», a-t-il pronostiqué lors d'une conférence au Caire.

Pour Ayman Nour, ancien adversaire de Hosni Moubarak lors de présidentielle de 2005, le spectaculaire soulèvement de janvier ne doit pas cacher «une résistance très forte de l'Egypte au changement».

«Le spectre de l'ancien régime nous hante continuellement», déclare-t-il à l'AFP. Comme en 2005, «je suis toujours aujourd'hui face à Moubarak, parce que son système est ancré dans la société», ajoute-t-il.

L'armée, et le gouvernement sous sa tutelle, «pilotent à vue», entre la volonté de stabiliser le pays et les pressions de Tahrir, estime Denis Bauchard, spécialiste du Moyen-Orient à l'Institut français des relations internationales (IFRI).

Le processus de démocratisation sera «lent, complexe, progressif et émaillé de turbulences», ajoute-t-il dans une étude sur cette «révolution inachevée».

Malgré tout, «de cette incertitude se dégage le sentiment que rien ne sera comme avant. La révolution du 25 janvier a libéré la parole et ouvert les vannes d'une contestation qui s'exerce non seulement au niveau politique, mais également au niveau social», note-t-il.

Face à la Syrie et la Libye en flammes, ou le Yémen en crise profonde, la réussite de l'aventure égyptienne reste cruciale pour faire progresser l'ensemble de la région, estiment de nombreux responsables internationaux.

«Les attentes sont élevées et le potentiel de frustration est considérable», a déclaré lors d'une visite au Caire le chef de la Commission européenne José Manuel Barroso, en soulignant lui aussi que «la révolution n'est pas finie».

Mais si la transition réussit, «l'exemple égyptien donnera à d'autres un nouvel élan pour assurer leur liberté», a-t-il jugé.