Plusieurs journalistes ont leurs caméras braquées sur une ancienne usine de tabac à Yayladagi, village turc d'environ 6200 personnes à moins de 10 km de la frontière turco-syrienne. Leurs objectifs se fixent sur des visages qu'ils entrevoient à travers des barreaux de métal rouillé recouverts d'une toile bleue.

Le camp de Yayladagi est l'une des trois installations mises en place par le gouvernement turc pour accueillir les réfugiés qui fuient l'armée et les forces spéciales déployées par Bachar al-Assad. Depuis mars, les Syriens manifestent pour se débarrasser d'une dictature brutale vieille de 40 ans, à quoi le régime a riposté par des représailles sanglantes.

Plus de 1300 personnes ont été tuées et des milliers arrêtées par l'armée syrienne et ses forces spéciales depuis le début des manifestations, selon des ONG locales.

Les réfugiés les plus récents arrivent de Jisr al-Choughour, ville où des hommes auraient été «coupés vivants par des machines qui servent à couper les cannes à sucre», raconte le jeune Mohammed, qui a dû relever une portion de la toile bleue afin de s'entretenir avec nous. Les autorités turques interdisent aux réfugiés de s'adresser aux médias.

Fuir l'armée

Sans même se chausser, Mohammed et sa famille ont fui leur village et sont arrivés illégalement en Turquie. Deux de ses frères ont été blessés par balle par l'armée syrienne alors qu'ils tentaient de traverser la frontière. Ils ont fui Jisr al-Choughour il y a deux semaines, quand ils ont su que l'armée approchait à grands pas.

La chaîne d'information Syria TV, dirigée par le gouvernement syrien, a rapporté cette semaine -justification aussi classique que nébuleuse- qu'une intervention était «nécessaire pour contenir cette ville où se cachent des terroristes».

Il est difficile de corroborer les témoignages de ces réfugiés effrayés, qui refusent de se nommer. La situation est d'autant plus ardue que les journalistes ne peuvent entrer en Syrie, que les lignes téléphoniques sont coupées et que les connexions internet sont intermittentes. Cependant, plusieurs sources, dans les trois camps, ont signalé l'existence d'une usine de canne à sucre transformée en quartier général par l'armée syrienne.

Grève de la faim

Notons par ailleurs que les chiffres officiels sur le nombre de réfugiés ne tiennent pas compte de ceux qui ont franchi la frontière illégalement, à l'insu des autorités turques. La plupart, de jeunes hommes, logent chez des proches.

C'est le cas d'Ahmed, rencontré à Guvecci, village à moins de 2km de la Syrie, qui hésite d'abord à se confier. Il devient plus confiant en entendant la voix de notre traducteur, qui n'a pas l'accent alaouite, cette minorité au pouvoir en Syrie. La plupart des Syriens rencontrés par La Presse refusent de parler, persuadés que le Mukhabarat, police secrète syrienne, est entré en Turquie pour les intimider.

Agité, il raconte avoir été témoin de l'avancée des troupes syriennes, qui tuent hommes, femmes et enfants. Pour preuve, il nous montre des scènes qu'il a filmées.

Abu Tayeb, qui a reçu un projectile dans la jambe en avril dernier, s'est pour sa part entretenu avec nous au téléphone du camp de Yayladagi, alors qu'un infirmier du Croissant-Rouge turc changeait ses pansements dans un hôpital improvisé.

Il confirme que les réfugiés ont entrepris une grève de la faim d'une journée vendredi dernier pour s'opposer au gouvernement Assad en ce jour de prière devenu jour de violence en Syrie. «La grève sert aussi à clamer notre droit d'expression devant les médias. Je veux pouvoir montrer au reste du monde ce qui se passe réellement en Syrie.»