Une mine sous-marine, une volée de roquettes, 6 morts, une émeute, un départ précipité: l'équipage du Red Star One et les 1300 personnes que le navire humanitaire évacue de la ville rebelle libyenne de Misrata ont réussi à sortir de l'enfer mercredi.

Le bateau attendait depuis samedi au large de la cité assiégée depuis deux mois par les forces pro-Kadhafi. Les faubourgs sont toujours en proie à de violents combats, et le régime a lancé aux rebelles un ultimatum qui a plongé la ville dans l'angoisse.

Mercredi, une mine sous-marine déposée par l'armée libyenne flotte toujours dans ses eaux, mais le capitaine du Red Star One décide d'accoster: deux blessés graves qui attendent leur évacuation ont déjà succombé, faute de soins adaptés dans les hôpitaux locaux qui manquent de tout.

Vers midi, une vingtaine de roquettes explosent en rafale à moins d'un kilomètre du navire. Une fois encore, elles frappent le camp de tentes où vivent, dans des conditions inhumaines, des centaines de réfugiés africains cherchant à fuir le piège de Misrata.

Deux femmes, un adolescent et deux bébés, tous membres d'une même famille nigériane, sont tués. «Les bombes sont tombées partout autour de nous. Ça explosait partout et tout le monde s'est mis à courir. La famille a été frappée par une roquette», raconte Ikenna Nwankwo, 28 ans, témoin de la scène.

Les roquettes se sont abattues quotidiennement sur le camp ou ses environs depuis des jours. Le 26 avril, un Nigérien avait péri. Dimanche, le port avait subi plus de trois heures de bombardement intense.

Sur le Red Star One, certains membres d'équipage veulent larguer les amarres après l'attaque. Un officier les rabroue: «Vous voyez bien qu'il n'y a plus d'explosion, on reste!»

Devant la rampe d'accès, des dizaines, et bientôt des centaines de Libyens, hommes, femmes et enfants, s'agglutinent, cherchent à forcer le passage. Des combattants rebelles armés de kalachnikovs s'interposent et parviennent à contenir le mouvement.

13h50. Des camions-bennes surchargés de réfugiés africains arrivent du camp de tentes. Eux sont tout prêts à être dociles si cela peut leur permettre de fuir. En file indienne, ils pénètrent dans la cale sombre.

À côté, les Libyens s'énervent, ne comprenant pas pourquoi on les empêche d'embarquer eux aussi. Mais le navire est affrété par l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), chargée de rapatrier des réfugiés dans leur pays d'origine.

La foule pousse de plus en plus. Un rebelle tire un coup de kalachnikov vers le ciel, la foule recule à peine.

Des dizaines de Libyens parviennent finalement à monter à bord, beaucoup de femmes, d'enfants et de vieillards. «Fini, les familles» libyennes, décide Othman Belbeisi, un responsable de l'OIM.

L'émeute éclate, la rampe d'accès est surchargée, l'hystérie est générale. Le responsable de l'OIM ordonne: «Faites entrer les migrants, vite, vite!» Peine perdue: pour ne pas risquer une situation encore plus dangereuse, le capitaine largue les amarres en catastrophe.

Il s'arrête quelques centaines de mètres plus loin: plusieurs rebelles défendant l'accès au bateau s'y trouvent toujours. Quelques blessés graves et réfugiés étrangers -pas tous- sont encore embarqués.

Le navire, bondé, reprend sa route vers Benghazi, le fief de la rébellion dans l'Est libyen. Au total, 1300 personnes ont réussi à embarquer, une majorité de réfugiés et quelques centaines de Libyens. Une vingtaine de journalistes internationaux, la quasi-totalité de ceux qui se trouvaient à Misrata, sont également à bord.

Le bateau a finalement embarqué 43 patients, dont l'un est mort avant même de prendre le large.

Fadel Moukadem, de l'ONG Mercy Corps, est épuisé et amer: «Il reste 300 à 400 réfugiés étrangers à Misrata, on espérait tous les prendre cette fois... Si le capitaine était entré hier soir au port, on aurait pu amener tranquillement tous les blessés, grâce au couvre-feu nocturne. Au lieu de ça...»