Une ville assiégée qui échappe de plus en plus au contrôle des insurgés. Des hôpitaux qui arrivent au bout de leurs ressources. Des blessés qui meurent parce qu'il est trop dangereux de leur acheminer des soins médicaux. Des quartiers entiers privés d'eau et d'électricité, où la vie est devenue impossible.

L'arrivée d'un bateau-hôpital turc au port de Benghazi, hier après-midi, a permis de lever le voile sur la situation qui prévaut à Misrata, troisième ville de la Libye en importance, assiégée par les forces de Mouammar Kadhafi depuis plus d'un mois.

Situé dans l'ouest du pays, à 200 kilomètres de Tripoli, Misrata est encerclé sur trois côtés, et ne peut compter que sur l'approvisionnement par la mer.

Or, depuis quelques jours, les chars de Kadhafi, qui contrôlent l'autoroute qui traverse Misrata ainsi que sa rue principale, bombardent sporadiquement le port de la ville.

«Il n'y a pas un seul endroit où l'on soit en sécurité à Misrata», dit Faraj Ahmed, un des 10 médecins qui accompagnent les 230 blessés en route vers la Turquie.

Les témoignages recueillis sur le navire Deniz montrent qu'une fois que les troupes de Kadhafi ont pénétré à l'intérieur d'une ville, les moyens déployés par l'OTAN ne suffisent plus pour protéger les civils.

Protection insuffisante

Les CF-18 canadiens ont eu beau bombarder des entrepôts de munitions autour de Misrata, ils ne peuvent pas cibler la principale artère de la ville sans craindre de faire des victimes.

Les forces de Kadhafi vont là où il y a des civils, dit le docteur Faraj Ahmed: dans les rues, sous les ponts. Quand des avions de la coalition survolent la ville, les tirs d'artillerie cessent. Mais dès que les avions disparaissent, ils reprennent.

Comme d'autres passagers du bateau, le médecin est reconnaissant au Canada pour le rôle qu'il joue dans la protection de Misrata. Mais comme d'autres, il croit que cette protection aérienne est devenue insuffisante.

«Aujourd'hui, il y a eu des tirs d'artillerie à Misrata pendant toute la journée, ils attaquent les gens dans leurs maisons, la situation est catastrophique», déplore Iman Bougaighis, porte-parole du Conseil national de transition.

Venue accueillir le navire-hôpital, Mme Bougaighis dit souhaiter qu'en plus de ses bombardiers, l'OTAN déploie aussi des hélicoptères permettant d'intervenir dans une guerre urbaine.

Vie infernale

En attendant, cette guerre rend la vie des habitants de Misrata infernale, selon les témoignages recueillis à bord du bateau.

«Depuis une semaine, ça n'arrête pas, ils tirent du matin au soir», dit Salem El-Sheikh, informaticien de 32 ans qui s'est joint aux insurgés de Misrata. Puis il corrige: «En fait, c'est du matin au matin.»

La majorité des patients qui ont accosté à Benghazi sont des rebelles qui se battent pour le contrôle de la ville. Mais les chars de Kadhafi visent aussi les quartiers résidentiels, selon les passagers. Le voisin de l'un d'entre eux, Mohammed Mufta, a perdu sa femme et trois de ses enfants dans une de ces attaques.

Beaucoup de femmes et d'enfants meurent sous les obus, particulièrement dans deux quartiers de la ville, Zawiya et Jazira, dit Hamid Abdallah, 34 ans, qui a été touché par un tireur embusqué en plein centre-ville de Misrata.

Il a une blessure au bras et son système nerveux a été touché. Hamid Abdallah a pourtant l'intention de se battre «jusqu'à ce que Kadhafi s'en aille».

Des dizaines de personnes sont venues accueillir les évacués de Misrata au quai de Benghazi. Parmi eux, plusieurs espéraient apprendre comment vont leurs proches, dont ils sont sans nouvelles depuis un mois.

«Toute ma famille est à Misrata, mes cousins, mes oncles, mes tantes», a dit Tihany Ahtal, responsable des relations publiques au port de Benhazi, en pleurant sous son hidjab blanc.

Sur le pont, elle a aperçu l'ami d'un de ses cousins. Elle a appris que celui-ci allait bien. Mais qu'un autre était peut-être mort.

Coupé du monde

Les lignes téléphoniques sont coupées à Misrata, et les médias n'y ont pas accès. Il est donc difficile d'estimer précisément le nombre de victimes. Selon le docteur Faraj Ahmed, au moins 200 personnes ont été tuées depuis deux semaines.

Les gens meurent parce que les médecins ne peuvent pas les atteindre, surtout autour de la rue Tripoli, principale artère de la ville, dit Faraj Ahmed. «Il y a des tirs même contre les ambulances.»

Lors du siège d'autres villes, comme celle d'Ajdabiya, qui était retombée sous le contrôle de Kadhafi pendant 10 jours, les habitants avaient fui tandis que les troupes du régime étaient restées autour de la ville. La situation est différente à Misrata, dont les habitants sont piégés et appellent à l'aide.

Et quels sont leurs besoins les plus urgents? Un des patients de Misrata, Mohamed Ahmed Al-Mahjoub, blessé à la jambe, affirme que pour la nourriture, ça va. «Ce qu'il nous faut, ce sont des armes.»