Les dirigeants européens se retrouvent jeudi à Bruxelles pour un sommet marqué par la cacophonie sur l'intervention militaire en Libye, qui a fait voler en éclats leur projet de politique étrangère commune comme il y a huit ans lors de la guerre en Irak.

La décision de lancer l'opération, poussée par la France et la Grande-Bretagne et votée au Conseil de sécurité malgré l'abstention de l'Allemagne, constitue peut-être une victoire diplomatique pour Paris et Londres, mais en même temps «un échec absolu pour la politique étrangère européenne», juge l'eurodéputé conservateur britannique Charles Tannock.

L'UE aurait dû jouer «un rôle plus actif pour promouvoir cette initiative franco-britannique auprès de ses partenaires arabes, africains et américain», regrette son collègue français Arnaud Danjean, président de la sous-commission sécurité et défense au Parlement européen.

Dans cette affaire, «le manque total de cohérence dans la politique étrangère de l'UE et de ses États a rendu l'Union ridicule», assène le groupe Spinelli, une formation qui rassemble des personnalités favorables à l'intégration européenne comme les chefs des groupes écologiste et libéral au Parlement, Daniel Cohn-Bendit et Guy Verhofstadt.

Face à la crise libyenne et aux révoltes dans le monde arabe, le tout nouveau service diplomatique européen a du mal à démontrer la «valeur ajoutée» que cherche à lui conférer sa patronne toujours très contestée, la haute représentante aux Affaires étrangères, Catherine Ashton.«Le problème», a-t-elle admis mardi, «c'est que 27 États souverains qui croient passionnément en leur droit de déterminer ce qu'ils font, en particulier dans le domaine de la défense, ont des opinions différentes».

Divisés sur l'intervention de la coalition en Libye, scindés aussi sur le rôle exact à conférer à l'OTAN en dépit d'un compromis scellé entre Paris et Washington sur sa participation, les Vingt-Sept devront clarifier lors de leur sommet, jeudi et vendredi, un rôle à donner à l'UE dans le dossier libyen.

Lundi, leurs ministres des Affaires étrangères se sont déjà engagées sur le principe d'opérations d'assistance humanitaire et de protection civile, sécurisées si nécessaire par des moyens militaires. «Nos plans devraient être prêts d'ici à jeudi», à temps pour le sommet, a promis Mme Ashton.

Plus généralement, les dirigeants européens sont appelés à se «mettre d'accord sur de premières étapes concrètes afin d'apporter une aide rapide aux pays de la région», souligne le président de l'UE, Herman Van Rompuy.

Ils notamment devraient décider de porter l'enveloppe de prêts à la région de la Banque européenne d'investissement (BEI) de 5 milliards à près de 6 milliards d'euros.

L'Europe planche en outre sur un projet de partenariat pour encourager les réformes démocratiques et socio-économiques dans la région, et développer les échanges commerciaux.

L'UE peut encore saisir la chance de lancer une «stratégie économique ambitieuse» à l'égard du monde arabe, sur le modèle du «plan Marshall» proposé dernièrement par Rome, juge Giles Merrit, secrétaire général de l'ONG Friends of Europe.

Mais pour Giles Merit, Mme Ashton, qui vient encore de se faire voler la vedette par des responsables nationaux européens lors de ses dernières visites en Tunisie ou en Egypte, ne parviendra pas à mettre en place une véritable stratégie de coopération euro-arabe «si elle garde un profil bas».

«Le problème, c'est qu'on demande toujours à l'Europe de sauter 1,90 mètre. Or il y a des domaines où elle ne peut sauter que 1,20 mètre», particulièrement en ce qui concerne la politique étrangère et de défense, juge le ministre français des Affaires européennes Laurent Wauquiez.