Des Libyens terrés chez eux à Tripoli où des miliciens pro-Kadhafi patrouillent dans la rue, des mercenaires héliportés à Misrata, la 3e ville du pays, l'Est aux mains de l'opposition: le face à face perdurait samedi en Libye où la situation est «excellente» selon le pouvoir.

Interrogé par la chaîne satellitaire Al-Arabiya au 12e jour d'une révolte sans précédent, Seif Al-Islam, fils du colonel Mouammar Kadhafi et longtemps présenté comme son successeur probable, a estimé que la situation était «excellente» dans les trois-quarts du pays.

«L'incitation vient de l'étranger même s'il y a une volonté intérieure de changement», a toutefois reconnu Seif Al-Islam, affirmant cependant que les manifestants étaient «manipulés par l'étranger».

Sur le terrain diplomatique, la pression s'accentue. «Il semble que «Kadhafi ne contrôle plus la situation», a estimé le chef du gouvernement italien, Silvio Berlusconi, critiqué dans le passé pour avoir reçu avec faste le dirigeant libyen.

Alors que la région orientale pétrolifère est aux mains de l'opposition armée qui met en place une nouvelle administration, les rues de la capitale étaient quasi-désertes. Seuls circulaient, à bord de 4X4, des miliciens armés loyaux au colonel Kadhafi, au lendemain de tirs contre des manifestants dont six au moins ont péri, selon un témoin.

Les habitants s'aventurent parfois dans les rues pour acheter du pain ou se rendre dans les stations-service. «Les files sont interminables», selon un habitant. «À part cela, les gens sont terrés chez eux», dit-il.

Les hôtels de luxe ont fermé ou ont évacué leur personnel.

Après le discours de M. Kadhafi la veille à Tripoli appelant ses partisans à s'armer pour attaquer les opposants, «des rumeurs avaient circulé sur une attaque possible des hommes du leader libyen».

«Mais la nuit a été calme, des partisans armés du guide tapaient simplement aux portes des maisons dans certains quartiers pour dire aux gens de rester chez eux», selon un habitant qui précise que des chars sont déployés sur les routes conduisant à Tripoli et en contrôlent l'accès.

Ce témoin, qui dit être en contact avec d'autres Libyens dans plusieurs villes du pays, a aussi affirmé que les partisans de Kadhafi tentaient de rallier les gens en leur promettant une kalachnikov et 150.000 dinars (12 000 dollars).

À 120 km à l'ouest de la capitale, la situation est toujours tendue à Zouara. Les forces pro-Kadhafi, qui ont disparu des rues, contrôlent toujours la cité en l'encerclant, a-t-il indiqué. Jeudi, des témoins fuyant la ville avaient indiqué que Zouara était aux mains des insurgés.

Plus à l'Est, des «mercenaires» à la solde du régime ont été héliportés à Misrata. Ils ont ouvert le feu sur le bâtiment abritant la radio locale et sur des manifestants qui se rendaient aux funérailles de victimes des jours de combats de ces derniers jours.

«Les mercenaires sont descendus de deux hélicoptères qui ont atterri dans la cité sportive en construction, dans le quartier de Merbat» à Misrata (150 km à l'est de Tripoli), a constaté un habitant, partisan de l'opposition, joint par téléphone.

À Benghazi, fief de l'opposition à 1000 km à l'est de la capitale, l'opposition continuait de s'organiser.

«Nous coordonnons les comités des villes libérées et de Misrata. Nous attendons que Tripoli en finisse avec le régime de Kadhafi (...) et ensuite, nous travaillerons à un gouvernement de transition», a déclaré à l'AFP Abdelhafiz Ghoqa, le porte-parole de la «Coalition révolutionnaire du 17 février».

«Il y a des volontaires qui partent tous les jours pour Tripoli» pour se battre, a-t-il ajouté, soulignant que de nouveaux officiers faisaient défection et rejoignaient les forces anti-Kadhafi.

À New York, le Conseil de sécurité de l'ONU se réunit pour la seconde journée consécutive pour tenter d'imposer des sanctions sévères.

Un projet de résolution évoque des sanctions telles qu'un embargo sur les armes, un autre embargo sur les voyages du colonel Kadhafi et un gel de ses avoirs, selon des diplomates.

Il avertit en outre Mouammar Kadhafi que les violences pourraient être considérées comme des crimes contre l'humanité, selon des diplomates.

Le bilan des violences restait difficile à évaluer samedi. Le secrétaire général de l'ONU a parlé d'un millier de morts.

Vendredi, le président américain Barack Obama a signé un décret gelant les avoirs aux États-Unis du colonel Kadhafi et de ses quatre fils. «Le régime de Mouammar Kadhafi a bafoué les normes internationales et la morale élémentaire, il doit être tenu responsable», a-t-il estimé.

Critiqué à l'étranger, attaqué de toutes parts par une opposition armée qui contrôle désormais plusieurs villes, M. Kadhafi a pris la parole vendredi soir devant une foule de plusieurs centaines de partisans dans le centre de Tripoli.

«Nous allons nous battre et nous les vaincrons», a-t-il lancé. «S'il le faut, nous ouvrirons tous les dépôts d'armes pour armer tout le peuple», a-t-il menacé.

Le pouvoir libyen semblait cependant de plus en plus isolé, lâché par ses pairs arabes et plusieurs proches et diplomates, dont les ambassadeurs libyens à Paris, Lisbonne, Genève et à l'Unesco, ainsi que Kadhaf al-Dam, proche conseiller et cousin de M. Kadhafi.

Face au chaos, les évacuations des différents ressortissants étrangers continuaient dans des conditions difficiles. La Chine a annoncé avoir évacué près de 16.000 de ses ressortissants de Libye vers la Grèce, la Tunisie, l'Égypte et Malte.

Faute de pouvoir assurer la sécurité de leurs diplomates, les États-Unis ont suspendu le fonctionnement de leur ambassade.