Des diplomates libyens qui démissionnent avec fracas. Des militaires qui font défection. Un ministère incendié à Tripoli. Le régime du colonel Kadhafi a commencé à se lézarder de toutes parts hier, mais il a continué de mener une répression meurtrière contre les manifestants. Les jours du vieux dictateur semblent comptés.

«Je pense que nous assistons à la fin du colonel Kadhafi, ce n'est qu'une question de jours. Soit il démissionne, soit le peuple libyen se débarrasse de lui.»

Une semaine après l'intensification des manifestations contre le régime du colonel Mouammar Kadhafi en Libye, de sérieuses fissures ont été observées hier dans le vieil édifice dictatorial. Le choc le plus spectaculaire est venu des diplomates libyens, dont plusieurs, comme l'ambassadeur adjoint de la Libye à l'ONU, Ibrahim Dabbashi, ont quitté hier leurs fonctions au sein des ambassades dans le monde pour protester contre le régime.

«Il est impossible pour nous de rester silencieux», a déclaré M. Dabbashi à New York, entouré d'autres membres de la délégation libyenne aux Nations unies. «Nous devons transmettre la voix des Libyens au monde. La mission libyenne sera au service du peuple et non au service du régime.»

Le ministre libyen de la Justice Mustafa Abdel-Jalil a également démissionné de ses fonctions pour protester contre «l'usage excessif de la force contre des manifestants désarmés». La délégation menée par M. Dabbashi a qualifié la répression de «génocide» et a demandé à la Cour pénale internationale d'ouvrir une enquête pour crimes contre l'humanité. «J'appelle les pays du monde entier à ne pas autoriser Kadhafi à se réfugier chez eux et je les appelle aussi à surveiller attentivement tout transfert d'argent venant de Libye», a encore dit M. Dabbashi.

Des employés des ambassades de la Libye en Grande-Bretagne, en Indonésie, en Suède, en Chine et en Inde ont aussi remis leur démission pour protester contre la répression, selon diverses sources. À Ottawa, l'ambassade libyenne était fermée hier en raison d'une journée fériée en Ontario. L'ambassadeur libyen au Canada est par ailleurs absent du pays pour une période de deux semaines, a indiqué le ministère canadien des Affaires étrangères.

Des militaires ont aussi lâché le «guide» Kadhafi. Hier, deux avions de guerre de l'armée libyenne ont atterri dans l'île de Malte en provenance de la base de Benghazi. Les quatre militaires aux commandes, qui ont demandé l'asile politique, ont déclaré aux autorités de l'île avoir fui après qu'on leur eut demandé de tirer sur les manifestants.

Kadhafi à la télévision

Le colonel Kadhafi a fait une apparition de 22 secondes à la télévision d'État, hier soir. «Je suis à Tripoli et non au Venezuela, ne croyez pas tout ce que vous disent ces fichues stations de télévision.» Muni d'un parapluie, il a également précisé qu'il voulait se rendre près des manifestants à la place Verte, mais que la pluie l'en avait empêché.

L'armée reste toujours fidèle au régime et a appliqué, hier encore, une riposte acharnée et violente contre les opposants.

Les informations en provenance de la Libye sont partielles, les frontières étant fermées à la presse étrangère. Tard dans la soirée d'hier, des témoins ont affirmé que les forces loyales au régime ont pris d'assaut les rues de la capitale pendant que des avions lançaient des petites bombes. Des tireurs ont ouvert le feu sur les manifestants à partir d'hélicoptères, selon le New York Times.

Des témoins ont également raconté sur les ondes d'Al-Jazira ou de la BBC des bombardements de l'armée de l'air libyenne contre les manifestants - une information toutefois contestée par d'autres témoins sur place. Des tireurs d'élite ont pris place sur les toits des immeubles et les autorités ont pressé la population de rester chez elle.

Le fils du colonel Kadhafi, Seif al-Islam, a cependant déclaré hier à la télé d'État que l'armée a bombardé des dépôts d'armes loin des zones urbaines.

Les opposants semblent toutefois avoir fait quelques gains. Des informations laissent croire que les protestataires ont pris possession de la ville de Benghazi et ont investi sa base militaire, selon la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH). À Tripoli, des postes de police et le ministère de l'Intérieur ont été incendiés.

Le bilan des morts reste approximatif. Human Rights Watch l'a évalué hier matin à 233 morts depuis le début de la contestation, tandis que la FIDH a avancé de son côté un bilan de «300 à 400 morts».

Condamnations

Dans le monde, les condamnations ont été unanimes.

La secrétaire d'État américaine Hillary Clinton a demandé «l'arrêt d'un bain de sang inacceptable». Le premier ministre Stephen Harper a qualifié ces gestes de «scandaleux» et «inacceptables». Le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon a déclaré à M. Kadhafi, dans une conversation téléphonique, que les violences devaient «cesser immédiatement».

- Avec la collaboration d'Anabelle Nicoud et de Joël-Denis Bellavance. Avec AFP, AP, Al-Jazira, BBC