Une répression meurtrière a sévi lundi en Libye, au lendemain d'une sévère mise en garde lancée par le fils du leader Mouammar Kadhafi, Seïf Al-Islam, évoquant un risque de bain de sang, alors que des dirigeants libyens ont fait défection.

Mouammar Kadhafi a fait une brève apparition en «direct» lundi soir sur la télévision d'État libyenne, depuis sa résidence de Bab Al Azizia à Tripoli, selon la télévision.

Les forces de sécurité ont elles mené contre les «saboteurs et (ceux qui sèment) la terreur», faisant plusieurs morts, a indiqué la télévision d'Etat, sans en préciser le lieu.

Selon des habitants des quartiers de Fachloum et Tajoura, dans la banlieue Est de Tripoli, des affrontements meurtriers ont eu lieu lundi.

«Des hommes armés tirent sans distinction. Il y a même des femmes qui sont mortes», a indiqué à l'AFP un habitant de Tajoura, joint par téléphone, qualifiant les évènements de «massacre».

Un autre témoin à Fachloum a indiqué que des hélicoptères avaient déposé des mercenaires africains qui ont tiré sur tous les passants, faisant un grand nombre de morts.

Seïf Al-Islam a reconnu que l'armée avait mené des bombardements, tout en soulignant que ceux-ci visaient des dépôts d'armes loin des zones urbaines, a rapporté lundi soir la télévision libyenne.

Il démentait ainsi des informations de presse «selon lesquelles les forces armées ont bombardé les villes de Tripoli et Benghazi», selon la télévision.

La Libye est secouée depuis le 15 février par un mouvement de contestation du régime de Mouammar Kadhafi, au pouvoir depuis 42 ans.

Lundi matin, l'organisation Human Rights Watch avait évoqué un bilan de 233 morts depuis le début de la contestation, mais ce chiffre devrait être désormais beaucoup plus important. La Fédération internationale des Ligues de droits de l'Homme (FIDH) a avancé de son côté un bilan de «300 à 400 morts».

Un très influent théologien musulman, cheikh Youssef Al-Qardaoui a émis lundi une fatwa appelant sur la chaîne Al-Jazira l'armée libyenne à assassiner Mouammar Kadhafi.

Ce théologien qatari d'origine égyptienne a également demandé à l'armée «de ne pas obéir à celui qui lui ordonne de frapper son propre peuple» et appelé les ambassadeurs à se dissocier du régime.

Plusieurs dirigeants libyens ont fait défection. Le ministre de la Justice Moustapha Abdel Jalil a démissionné «pour protester contre l'usage excessif de la force» contre les manifestants.

C'est également le cas de plusieurs diplomates libyens en poste à l'étranger, comme l'ambassadeur en Inde, mais aussi des pilotes de deux Mirage F1, qui ont atterri à Malte en affirmant avoir fait défection après avoir reçu l'ordre de tirer sur les manifestants à Benghazi.

Les communications téléphoniques et l'accès à internet étaient toujours très perturbés lundi.

Seïf al-Islam a annoncé lundi soir la création d'une commission d'enquête sur les violences, présidée par un juge, a rapporté la télévision d'État.

Cette commission, composée d'«organisations libyennes et étrangères de droits de l'Homme» sera chargée d'«enquêter sur les circonstances et les événements qui ont fait plusieurs victimes», a-t-elle ajouté.

Dans la nuit de dimanche à lundi, Seïf Al-Islam avait brandi la menace d'un bain de sang.

Les «forces qui tentent de détruire la Libye et de la démembrer sont armées et le résultat sera une guerre civile. Personne ne se soumettra à l'autre et nous nous battrons», a-t-il prévenu, tout en promettant des réformes.

Le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon a déclaré lundi à M. Kadhafi, lors d'une conversation téléphonique, que les violences devaient «cesser immédiatement».

M. Ban s'est également dit «indigné» par les informations selon lesquelles les forces de l'ordre ont tiré sur des manifestants à partir d'avions et d'hélicoptères.

La chef de la diplomatie américaine, Hillary Clinton, a réclamé «l'arrêt du bain de sang inacceptable». Les 27 pays de l'Union européenne ont «condamné» dans une déclaration commune la répression des manifestations, tout comme le secrétaire général de l'Otan.

Seif Al-Islam a affirmé que la Libye était la cible d'un complot étranger, et que des éléments libyens et étrangers, notamment tunisiens et égyptiens, tentaient de détruire l'unité du pays pour instaurer une république islamiste.

Il a reconnu que plusieurs villes, dont Benghazi et Al-Baïda dans l'est, étaient la proie de violents combats et que les émeutiers s'étaient emparés d'armes militaires. Selon lui, des chars étaient aux mains de civils à Benghazi.

D'après la FIDH, plusieurs villes, dont Benghazi, sont tombées aux mains des manifestants à la suite de défections dans l'armée.

L'Égypte a indiqué que deux de ses ressortissants avaient été tués en Libye et que 4000 Egyptiens avaient fui ce pays.

L'armée autrichienne a annoncé dans la nuit de lundi à mardi que l'espace aérien au-dessus de Tripoli n'était finalement pas fermé, après avoir affirmé le contraire quelques heures plus tôt.

Des États - comme l'Italie, premier partenaire commercial de la Libye - organisaient l'évacuation de leurs ressortissants, comme les groupes pétroliers Total, BP, ENI et Statoil, ont aussi pris des mesures en ce sens.