Généralement dédaigneux à l'égard des médias, le régime égyptien montre depuis peu un empressement inédit à communiquer, dans l'espoir selon des analystes de saper l'élan de la contestation contre le président Hosni Moubarak.

Des ministres plus disponibles, un langage plus conciliant, des médias officiels qui parlent en termes élogieux de la «révolution du 25 janvier»: face au soulèvement, le gouvernement «fait un énorme effort de communication», selon l'analyste politique Issandr al-Amrani.

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Depuis sa nomination, le nouveau Premier ministre Ahmad Chafic a multiplié les interventions télévisées. Récemment, portant un simple pull-over, il a accordé une longue interview à la télévision publique sur un ton didactique et décontracté.

Le très impopulaire ministère de l'Intérieur, accusé de nombreuses exactions et encore plus détesté depuis que la police a déserté les rues au début du mouvement, a même lancé une campagne par sms pour tenter de rentrer dans les bonnes grâces de la population.

«Notre comportement à partir d'aujourd'hui ne sera basé que sur l'honnêteté, la confiance et la souveraineté de la loi», «La police ne sera qu'au service du peuple pour le protéger», affirment ces messages.

Le poids lourd de la presse gouvernementale et soutien sans faille du régime, le quotidien Al-Ahram, veut pour sa part montrer qu'il a fait sienne la revendication des jeunes manifestants pour le changement, en louant la «noblesse» du mouvement.

Enfin, signe des temps, les Frères musulmans, jusqu'ici honnis par le régime et jamais nommés autrement que «la confrérie interdite» par les médias officiels, sont désormais identifiés par leur nom.

L'un des membres de leur bureau politique, Mohammed Mursi, a même eu droit à de longs gros plans à la télévision lors de sa participation au «dialogue national» au côté du vice-président Omar Souleimane sous un portrait du président Moubarak, une scène inimaginable il y a quelques jours.

Mais pour l'analyste Hicham Kassem, «il s'agit d'une tactique du régime» pour se protéger et ne pas paraître complètement coupé de la rue.

«Ils sont obligés de suivre, ils font tout cela malgré eux», estime-t-il.

D'après M. al-Amrani, «le régime tente de récupérer le désir de changement et de se l'approprier, en disant: «on est tous d'accord sur le changement» ».

«Il veut ainsi désamorcer la révolution pour laisser la place à une évolution», ajoute-t-il.

M. al-Amrani note en outre qu'au-delà de la nouvelle bonne volonté affichée, le style des responsables n'a pas réellement changé.

«Ce sont des militaires, habitués à aboyer des ordres. Ils n'aiment pas qu'on leur pose des questions et ne sont pas habitués à parler aux médias. Et ils essaient de faire passer des messages d'intimidation quand même, notamment quand le vice-président parle d'un complot» contre l'Égypte derrière les manifestations, dit-il.

Reprenant à son compte la ligne du gouvernement, le quotidien gouvernemental Rose el-Youssef a agité jeudi la menace d'une intervention de l'armée en cas de «chaos» -sous-entendu de poursuite du mouvement. Le journal est même allé jusqu'à évoquer une possible annexion par Israël d'une partie du Sinaï, ou d'une prise de contrôle du canal de Suez par des forces internationales.

«Il n'y aura de vrai changement que lorsque les personnes (travaillant dans les médias) auront changé. Et pour l'instant, elles n'ont pas été remplacées», affirme M. Kassem.