S'il n'en tenait qu'à Mohammed Omar, le roi de la Jordanie, Abdallah II, n'aurait pas plus de pouvoir que la reine d'Angleterre.

«Ce que je souhaite, c'est une monarchie constitutionnelle, comme en Grande-Bretagne ou en Espagne. La famille royale n'a aucun pouvoir réel et les décisions sont prises par un gouvernement élu», souligne en entrevue à La Presse l'homme de 50 ans.

Bien qu'il dise avoir reçu des menaces à plusieurs reprises pour ses positions politiques, ce journaliste de profession n'hésite pas à exprimer ses désirs de réforme sur un blogue qu'il tient, avec son nom bien en vue, depuis 2006.

Une telle démarche n'est pas anodine dans un pays où toute critique de la monarchie est constitutionnellement interdite. Mais elle est appelée à se banaliser en raison des révoltes survenues en Tunisie et en Égypte, estime M. Omar, qui dirige un site de nouvelles sur le Moyen-Orient.

Les soulèvements arabes du dernier mois, note-t-il, ont enflammé les «militants» du pays, qui se montrent plus cinglants dans leurs commentaires au risque de franchir les «lignes rouges» fixées par le régime.

Il y a quelques jours, un porte-parole des Frères musulmans, principale force d'opposition du pays, a déclaré dans la même veine qu'il fallait que le pays évolue vers une monarchie constitutionnelle.

»Crise d'autorité»

Hier, dans une déclaration commune qui a pris la forme d'une sérieuse mise en garde au régime, plusieurs dizaines de chefs tribaux ont dénoncé la «crise d'autorité» frappant la Jordanie, où le roi conserve la main haute sur la composition du gouvernement et la vie politique.

Selon l'Agence France-Presse, ces chefs ont prévenu que le pays sera «tôt ou tard la cible d'un soulèvement similaire à ceux survenus en Égypte et en Tunisie en raison de la suppression des libertés et de l'abus de fonds publics». Ils ont reproché au passage à la reine Rania d'exercer une influence indue sur les «décisions de l'exécutif», établissant un parallèle avec la femme de l'ex-dictateur tunisien Zine el-Abidine Ben Ali.

Loin de faire écho à ces critiques, les personnes interrogées dans la rue déclarent pratiquement à l'unanimité leur affection pour le monarque, dont le portrait est placé bien en vue dans tous les grands carrefours de la capitale et dans la plupart des commerces.

Un web plus militant

Une évolution marquée du discours populaire est cependant perceptible en ligne, souligne M. Omar, qui suit de près l'usage que font ses compatriotes des réseaux sociaux.

Pendant longtemps, dit-il, les internautes jordaniens se contentaient d'échanger des banalités sur leur vie quotidienne, mais les choses ont pris une tournure nettement plus politique depuis quelques semaines.

Un nombre accru d'utilisateurs de Twitter échangent des liens vers des articles critiques sur la Jordanie en utilisant «JO» ou «ReformJo» comme termes de référence.

La semaine dernière, 150 personnes se sont mobilisées sur un campus d'Amman en réponse à un appel lancé sur les réseaux sociaux pour soutenir les manifestants égyptiens, un événement de faible envergure révélateur du mouvement en cours.

Surveillance limitée

Oraib Rantawi, directeur du centre d'études politiques Al-Qods, à Amman, pense que ces réseaux constitueront un «outil très important à l'avenir». D'autant plus que le régime n'a pas mis en place, selon lui, un système de surveillance élaboré comme celui qui pouvait exister, par exemple, en Tunisie avant la chute de Zine el-Abidine Ben Ali.

Le pouvoir jordanien n'en demeure pas moins préoccupé par l'essor des communications en ligne, à en juger par l'introduction controversée l'année dernière d'une loi sur «les sanctions des systèmes d'informations». Elle constitue, au dire de l'association Reporters sans frontières, une «menace pour la liberté de presse et de communication».

Bien que les langues se délient un peu dans l'univers virtuel, la vaste majorité des Jordaniens demeurent convaincus qu'ils seront sanctionnés s'ils s'avisent de critiquer le gouvernement publiquement. Un sondage mené par l'Université de Jordanie indiquait récemment que plus de 75% de la population a peur de le faire. La possibilité de critiquer la monarchie n'était pas abordée par les chercheurs.

«Il va falloir encore du temps pour que les mentalités changent», note M. Omar.