Des manifestants massés à la place Tahrir au premier discours du président honni, le soulèvement en Égypte a été capté par Al-Jazira, à tel point que certains commentateurs n'hésitent pas à parler d'une véritable révolution Al-Jazira.

Al-Jazira, diffusée en arabe et en anglais, a été la première chaîne d'information continue majeure à couvrir les débuts de la révolution du jasmin, en Tunisie. Peu après la chute du président Ben Ali, les Égyptiens sont descendus dans la rue, défiant leur président omnipotent. «Le monde ne pourrait assister aux événements d'Égypte si les Égyptiens eux-mêmes n'avaient pas assisté à la révolution tunisienne de leur salon ou leurs cafés», affirme Lawrence Pintak dans un article publié sur le site de la revue américaine Foreign Policy.

Ce n'est pas la première fois que la chaîne établie au Qatar couvre intensivement des événements politiques secouant le Moyen-Orient. Le régime égyptien ne s'y est pas trompé: le bureau cairote d'Al-Jazira a été fermé dans les premiers jours des manifestations, sa diffusion satellite a été brouillée dans une vaine tentative de cacher aux Égyptiens la révolution qui se joue dans leurs rues.

«Al-Jazira en anglais ne pose pas beaucoup de problèmes au gouvernement égyptien, mais plutôt sa version arabe. Il sait qu'Al-Jazira a gagné en popularité et la seule chose qu'ils peuvent faire, c'est l'interdire», croit Will Straw, professeur au département d'histoire de l'art et des études en communication de l'Université McGill.

«Le reflet de la rue»

Faut-il pour autant attribuer la paternité du soulèvement égyptien à Al-Jazira? Pour Antonius Rachad, professeur de sociologie à l'UQAM et directeur adjoint de la chaire de recherche sur l'immigration, l'ethnicité et la citoyenneté, la réponse est non. «Dans le monde arabe, les conditions économiques sont tellement difficiles qu'on n'a pas besoin de le voir à la télé pour le savoir. Al-Jazira ne pourrait pas créer des événements s'ils n'existaient pas déjà, explique-t-il. Elle est reflet de ce qu'il se passe dans la rue.»

Chose certaine, ce reflet intéresse un public grandissant. Le trafic du site d'Al-Jazira en anglais a été dopé par l'actualité égyptienne (une fréquentation accrue de 2500% au cours de la semaine, selon un article du New York Times). Mais, à de rares exceptions près, Al-Jazira en anglais, qui existe depuis cinq ans à peine, n'est toujours pas offerte par les câblodistributeurs américains. Une situation que la chaîne espère changer comme en témoigne sa commandite sur Twitter du mot-clé «DemandAlJazeera». La révolution cathodique aura peut-être lieu aussi dans les salons américains.