La vague de changements dans le monde arabe fait écho aux appels des États-Unis en faveur de la démocratie, mais elle risque de transformer le paysage régional dans un sens moins favorable à Washington.

Après l'Égypte, l'effervescence populaire partie de Tunisie pourrait poser rapidement de nouveaux dilemmes à l'administration Obama: au Yémen, en Algérie, en Arabie saoudite et, peut-être en premier, en Jordanie, le seul pays arabe en-dehors de l'Égypte à avoir fait la paix avec Israël.

Faute d'avoir su anticiper et accompagner ces mouvements, les États-Unis vont être «perçus comme une puissance déclinante ayant peu d'influence», redoute l'analyste conservatrice Danielle Pletka.

Vis-à-vis du Caire, la prudence américaine s'explique aisément: Hosni Moubarak, le président égyptien, a été un allié précieux des États-Unis contre l'islamisme et pour les efforts de paix entre Israël et les Palestiniens, usant de tout son poids auprès des autres dirigeants arabes.

C'est la crainte des Frères musulmans et d'un changement d'attitude de l'Égypte envers Israël qui a motivé la retenue américaine, relève Marina Ottaway, de la fondation Carnegie, qui juge ces inquiétudes «exagérées».

L'arrivée au pouvoir de la confrérie islamiste serait «calamiteuse pour la sécurité des États-Unis», pense au contraire Leslie Gelb.

Ce ponte du Conseil des relations internationales (CFR) a sonné la charge sur le blog Daily Beast: «Les Frères musulmans soutiennent le Hamas et d'autres groupes terroristes, ils envoient des signaux amicaux aux dictateurs et tortionnaires iraniens, ils seraient des propriétaires douteux du canal de Suez et s'opposent au traité de paix israélo-égyptien de 1979».

«Par dessus-tout, les Frères musulmans mettraient en danger les efforts antiterroristes dans la région et dans le monde entier», conclut-il.

Michelle Dunne (Carnegie) fait partie d'un groupe de chercheurs qui ont poussé Washington à soutenir au plus tôt les manifestants. Elle n'en admet pas moins qu'un nouveau pouvoir au Caire «pourrait coopérer moins avec les États-Unis dans la gestion de la Ligue arabe et les questions israélo-arabes».

Bien avant le président Barack Obama, l'administration Bush avait proclamé son «programme pour la liberté» dans les années 2000, plaidant qu'en sacrifiant la liberté au nom de la stabilité, on n'obtiendrait ni l'une, ni l'autre.

L'argument avait servi pour justifier en partie l'invasion de l'Irak en 2003, brouillant complètement le message reçu par la rue arabe.

En conséquence, le président Obama avait moins insisté sur les droits de l'homme que sur la bonne entente entre islam et occident dans son grand discours au monde musulman, au Caire en juin 2009.

La thématique de la démocratie a fait un retour en force en janvier, à la veille du départ précipité du président tunisien Ben Ali. Depuis Doha, la secrétaire d'État Hillary Clinton a appelé fermement les dirigeants arabes aux réformes.

Les États-Unis avaient réagi prudemment jusque-là à la crise tunisienne, et le scénario s'est répété ces derniers jours avec l'Égypte: Washington ne s'est distancié que très graduellement de son allié Hosni Moubarak, désormais invité à céder la place.

Trop peu, trop tard pour nombre de commentateurs.

«Les États-Unis jouent mal leur partition», affirme Marina Ottaway. Selon elle, «l'administration Obama a réussi à tourner les foules contre les États-Unis», alors que les manifestants ne scandaient pas au départ de slogans anti-américains.