Le gouvernement tunisien a repris la main mercredi sur l'appareil sécuritaire, en donnant un grand coup de balai dans les hautes sphères de la police, pilier du régime de l'ex-président Zine El Abidine Ben Ali.

Le Premier ministre Mohammad Ghannouchi a assuré mercredi soir que la situation se normalisait après un «flottement ces derniers jours» et a exhorté ses compatriotes à la patience et à reprendre le travail.

«Ce gouvernement vous invite à préserver son indépendance en reprenant le travail, sinon le pays risque de s'écrouler», a-t-il dit à la télévision privée Hannibal, en parlant de revendications sociales «légitimes».

Même si la situation semblait effectivement se normaliser tant à Tunis qu'en province, sans incidents notoires mercredi, le couvre-feu en vigueur depuis le 13 janvier est maintenu.

Confronté à la grogne des fonctionnaires, à des pillages et à la propagation de rumeurs folles, son gouvernement a frappé fort: une trentaine de hauts gradés de la police ont été débarqués, un militaire a été nommé à la direction de la sûreté nationale, de nouveaux directeurs ont été placés à la tête de la police dans sept régions clés et un ancien ministre de l'Intérieur de Ben Ali a été placé en garde à vue.

Signe d'une normalisation, une délégation de 25 députés européens arrive jeudi à Tunis pour quatre jours afin de rencontrer gouvernement, société civile et partis politiques. Une autre délégation, du Parti socialiste français, vient aussi manifester son «soutien au processus démocratique».

Mercredi, la presse de Tunis a apporté un franc soutien aux autorités, saluant «le retour du policier, ce soldat de la démocratie, dans la rue», selon Le Quotidien, qui réclame une «rupture définitive et totale avant le régime déchu».

Un défi difficile dans un pays cadenassé depuis 23 ans, où plus de 100 000 policiers et des milliers d'adhérents au parti parti RCD (Rassemblement constitutionnel démocratique, qui revendique plus de 2 millions de membres) ont constitué les bras et les yeux du système de répression de Ben Ali.

Mardi soir, à la télévision, le nouveau ministre de l'Intérieur Farhat Rajhi a livré un incroyable témoignage sur les forces qui seraient encore à l'oeuvre au coeur de l'Etat.

«Lundi soir, entre 2000 et 3000 personnes ont attaqué mon ministère. Grâce au général Rachid Ammar (figure de l'armée qui a promis d'être le garant de la révolution, ndlr) et aux forces anti-terroristes, j'ai pu m'enfuir, mais on m'a volé mon manteau, mes lunettes et mon téléphone portable», a raconté le ministre, dénonçant un «complot contre l'Etat».

A l'issue d'un conseil des ministres mardi, l'équipe de transition a donné des gages de fermeté aux Tunisiens mais aussi aux partenaires internationaux.

Acte hautement symbolique alors que l'ONU a fait état de 219 morts ces  dernières semaines, elle a approuvé l'adhésion du pays à la convention internationale contre la torture et à trois autres protocoles internationaux relatifs aux droits de l'Homme.

La France a salué mercredi ces avancées, qui font de la Tunisie «le premier pays de la région à envisager l'abolition de la peine de mort».

Ces mesures n'ont pas suffit à convaincre le Front du 14 janvier, qui regroupe dix partis politiques interdits sous Ben Ali et a exigé mercredi la mise en place d'une Assemblée constituante et d'un Congrès national pour la protection de la révolution, sur le modèle des comités de salut public.

Le Front réclame notamment la dissolution du parlement, dominé à 80% par le RCD.

Depuis Bruxelles, le ministre tunisien des Affaires étrangères, Ahmed Abderraouf Ounaïs, a refusé de se prononcer sur les malversations du clan Ben Ali, affirmant que le cas de l'ex-président relevait de la justice tunisienne «enfin indépendante».