La place Tahrir au Caire, coeur de la contestation contre le président égyptien depuis neuf jours, s'est transformée mercredi en champ de bataille entre pro et anti Hosni Moubarak faisant au moins trois morts et des centaines de blessés.

Dans la soirée, le vice-président Omar Souleimane a appelé les manifestants à rentrer chez eux, comme l'avait fait l'armée en milieu de journée, prévenant que le dialogue proposé à l'opposition ne pouvait débuter avant l'arrêt des manifestations.

Le mouvement de contestation a appelé à une nouvelle manifestation massive vendredi, baptisée «vendredi du départ», dans laquelle elle entend réunir comme mardi plus d'un million de personnes, malgré la promesse de M. Moubarak de s'effacer à la fin de son mandat en septembre.

Dans la soirée, l'armée était déployée en masse aux alentours de la place Tahrir (place de la libération), immense esplanade dans le centre du Caire devenue depuis le 25 janvier le point de ralliement des manifestants anti-Moubarak, qui y campent par milliers chaque nuit malgré le couvre-feu.

Un journaliste de l'AFP a entendu au moins cinq coups de feu, sans qu'il soit possible d'en déterminer l'origine, et vu un jeune homme atteint à la poitrine.

Selon le ministère de la Santé, cité par la télévision d'État, trois personnes, dont un appelé de l'armée, ont été tuées et plus de 639 blessées, la plupart par des jets de pierres, dans les affrontements de mercredi.

Mercredi matin, des milliers de partisans du chef de l'État sont arrivés aux abords de la place. Après des heures de tensions, ils ont attaqué. Les heurts ont été d'une extrême violence, à coups de pierres, de bâtons, de barres de fer et parfois de couteaux.

Un enfant d'une dizaine d'années, touché à la tête, a été évacué inconscient.

Par endroits, les partisans du président ont chargé, montés sur des chevaux ou des chameaux, mais ils ont été repoussés. Certains, jetés à bas, ont été battus jusqu'au sang. Ils ont aussi jeté des blocs de pierre depuis des toits et des balcons d'immeubles surplombant la place.

La bataille a touché les abords du Musée égyptien, qui abrite des trésors inestimables de l'Antiquité pharaonique, mais les soldats ont formé une chaîne pour protéger l'établissement.

A l'exception de tirs de semonce en début d'après-midi, les militaires ne se sont pas interposés, tentant plutôt de s'abriter. Selon l'opposition, des policiers en civil se trouvaient parmi les pro-Moubarak, une information démentie par le ministère de l'Intérieur.

«Ce qu'on voit devant nous n'est jamais arrivé auparavant. Des accrochages entre Égyptiens, c'est la guerre civile», a déploré Mohamed Sayed Mostafa, 26 ans.

«L'armée a échoué dans son engagement à protéger les manifestants pacifiques. Le fait qu'une telle violence puisse continuer alors qu'ils se trouvent sur place pose la question de savoir s'ils ont reçu l'ordre de ne pas intervenir», a dénoncé Amnesty International.

Les médias ont été pris à partie. L'armée a dû intervenir place Tahrir pour secourir le caméraman d'une télévision canadienne que la foule menaçait de battre à mort. Et selon des témoins, des partisans de M. Moubarak se sont acharnés à coups de bâtons sur des journalistes qui quittaient la place.

En outre, la chaîne Al-Jazira est interdite depuis dimanche dans le pays, un journaliste belge a été molesté et arrêté mercredi, et trois journalistes israéliens ont été détenus pour ne pas avoir respecté le couvre-feu.

Dans un discours mardi soir à la télévision, M. Moubarak, au pouvoir depuis près de 30 ans, a annoncé qu'il ne briguerait pas de nouveau mandat lors de l'élection présidentielle en septembre.

Des centaines de personnes ont défilé mercredi dans plusieurs villes pour dire leur satisfaction après ce discours. «Maintenant, il faut le laisser tranquille, qu'il finisse son mandat. L'ex-gouvernement était composé de voleurs. Il sont partis, c'est bien», a déclaré Nadia Youssef Abdallah, 60 ans, à Suez (est).

Mais beaucoup n'étaient pas du même avis. Les Frères musulmans, principale force d'opposition, ont rejeté «toutes les mesures partielles proposées» par le président et refusé qu'il reste en poste jusqu'en septembre.

Le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, a jugé «inacceptables les attaques contre des manifestants pacifiques» et appelé à une «transition dans l'ordre et le calme».

La chef de la diplomatie américaine, Hillary Clinton a demandé une enquête sur les violences. Et son porte-parole, Philip Crowley, a déclaré que les États-Unis «espéraient» que l'Égypte garderait à l'avenir «un rôle constructif» dans le processus de paix au Proche-Orient.

«Le temps est venu pour le président Moubarak de démissionner», a déclaré le sénateur américain John McCain, après un entretien avec M. Obama.

Selon un bilan non confirmé de l'ONU, les heurts de la première semaine de contestation auraient fait au moins 300 morts et des milliers de blessés.

Photo: AFP

Les manifestants se sont affrontés à coups de bâtons.