Le roi Abdallah II de Jordanie a limogé mardi son Premier ministre pour calmer la rue qui réclamait son départ, mais la puissante opposition islamiste a immédiatement critiqué le choix de son remplaçant et promis de nouvelles manifestations, gardant l'Égypte et la Tunisie en tête.

Ce remaniement intervient alors que le monde arabe est secoué par un élan de revendications, à la suite de la chute du président tunisien Zine El Abidine Ben Ali sous la pression de la rue à la mi-janvier et du mouvement de protestation massif qui ébranle l'Égypte depuis une semaine.

L'opposition islamiste et de gauche a organisé plusieurs manifestations ces dernières semaines pour protester contre la vie chère et réclamer des réformes. Les slogans ont souvent visé le Premier ministre Samir Rifaï, violemment critiqué pour sa politique économique, malgré une série de mesures sociales.

Mardi, le palais royal a annoncé le limogeage de M. Rifaï, remplacé par Maarouf Bakhit, 64 ans, déjà Premier ministre de 2005 à 2007.

Dans sa lettre de désignation diffusée par le palais, le roi a chargé M. Bakhit «de prendre des mesures rapides et claires pour mener des réformes politiques réelles (...) soutenant notre action en faveur de la démocratie».

M. Bakhit a affirmé à l'AFP que son cabinet allait s'«atteler à prendre des mesures concrètes pour des réformes politiques, économiques et sociales».

Il a en outre ajouté qu'il donnerait «la priorité au dialogue avec toutes les parties concernées dans le pays», en référence aux islamistes. «Nous n'excluerons personne».

Le Front de l'action islamique (FAI), principal parti d'opposition et bras politique des Frères musulmans, a immédiatement critiqué le choix du roi, estimant que M. Bakhit n'était «pas un réformateur».

«Il semble que le train des réformes n'est pas encore en marche. Nous sommes contre ce Premier ministre», a déclaré à l'AFP le secrétaire général du FAI, Hamzeh Mansour, assurant que les manifestations allaient se poursuivre puisque «les raisons de ces manifestations (étaient) toujours valables».

«Maarouf Bakhit a conduit les pires élections législatives en Jordanie» lors de son mandat de Premier ministre en 2007, a expliqué Zaki Bani Rsheid, membre du comité exécutif du FAI.

Le roi Abdallah II avait indirectement reconnu la fraude dans ces élections lorsqu'il a dissous la Chambre des députés en 2009, deux ans avant la fin de son mandat. Mais les islamistes ont boycotté les nouvelles élections en novembre, s'estimant lésés par la loi électorale.

«Le choix du roi est étonnant, car c'est sous M. Bakhit que des élections douteuses ont eu lieu», a confirmé Mohamad Masri, chercheur au Centre d'Etudes Stratégiques de l'université jordanienne.

Le FAI avait remis dimanche à M. Rifaï des «revendications écrites», comprenant en particulier son départ. Une rencontre «privée» entre le roi et une délégation du FAI était prévue prochainement.

«Le roi a voulu limoger M. Rifaï avant de rencontrer les islamistes, afin de ne pas donner l'impression qu'il se pliait à leurs exigences», a déclaré à l'AFP un ministre du gouvernement sortant.

Maarouf Bakhit a fait carrière dans l'armée. A sa retraite en 1999, avec le grade de général, il est devenu coordinateur des pourparlers de paix avec Israël, puis ambassadeur en Turquie (2002-2005) et en Israël (2005), avant de revenir à Amman comme directeur du bureau du roi et adjoint à la Sécurité nationale.

Il a désormais «quelques jours» pour annoncer la composition de son gouvernement, selon le palais qui compte sur lui pour éviter que les manifestations ne prennent de l'ampleur sur le modèle de la Tunisie et de l'Égypte.