Janvier 2007. Exaspérés par la flambée des prix et la corruption, les Guinéens descendent dans la rue.

Le gouvernement panique et l'armée tire sur la foule. Le bilan est lourd: 200 morts et plusieurs milliers de blessés.

Le pays est en émoi, au bord de l'éclatement. Pour calmer le jeu, le général Lansana Conté, au pouvoir depuis 1984 à la suite d'un coup d'État, crée une commission d'enquête. Son mandat: identifier et poursuivre les responsables de la répression. Les coupables risquent des années de prison ou la peine de mort.

En décembre 2007, Mounir Mohamed est nommé président de la commission. On lui promet un budget de 5 milliards de francs, des locaux, du personnel. Il a carte blanche.

 

Dix mois plus tard, la commission tourne en rond. Elle n'a ni argent ni local. Les travaux n'ont même pas commencé.

«En avril, le gouvernement m'a envoyé un chèque de 1,5 milliard de francs, raconte M. Mounir Mohamed. J'ai loué le huitième étage d'un building au centre ville. J'ai envoyé un chèque au propriétaire, mais il n'est pas passé. Les fonds étaient bloqués.»

M. Mohamed s'éponge le front. Il fait chaud dans son bureau encombré de paperasse.

«Des gens ont été voir le général Lansana Conté, poursuit-il, et ils lui ont dit: «Tu as donné de l'argent à la commission. Ils vont t'arrêter, toi et tes enfants, et te jeter en prison!» Je crois que l'ordre de bloquer les fonds est venu de Conté. J'ai protesté, je me suis plaint au président de l'Assemblée nationale, j'ai appelé le gouverneur de la Banque centrale, j'ai alerté l'Union européenne, les Américains. Sans résultat.»

Il n'y a pas que la commission qui soit paralysée. Depuis quelques mois, les grèves se multiplient. Il y a d'abord eu l'armée, puis les douaniers, les policiers, les médecins et les magistrats.

Et les gens ont faim. Le prix des denrées monte en flèche. Le prix du sac de 50 kg de riz a bondi en quelques mois, passant de 150 000 francs (31$) à 220 000 (46$), le prix le plus élevé en Afrique de l'Ouest. Le litre d'essence, lui, a explosé, grimpant de 63%.

Et l'État est lourdement endetté. Trois milliards de dollars.

«Les prix montent, les fonctionnaires exigent de meilleurs salaires, mais l'État n'a pas d'argent, explique le ministre de l'Information, TibouKamara. Leurs demandes exercent une pression énorme sur nos finances. Lamonnaie se dévalue, ce qui pousse les prix à la hausse. On tourne en rond. Le pays est pratiquement ingouvernable.»

Le patron du Programme alimentaire mondial de l'ONU, Adbou Dieng, va plus loin.

«L'État est dysfonctionnel, rongé par la corruption, dit-il. Si on donne de l'argent au gouvernement, les fonctionnaires le bouffent, ça ne donne rien. Prenez un directeur qui gagne 200$ par mois. Comment fait-il pour payer sa voiture et sa maison, comment peut-il nourrir sa famille? Impossible. Le sac de riz coûte, à lui seul, près de 50$. Tout le monde se met de l'argent dans les poches. Si tu ne le fais pas, tu passes pour un fou.»

La Guinée tient à un fil. Lansana Conté est mort le 22 décembre dernier. Un groupe de putschistes a immédiatement renversé le gouvernement et pris le pouvoir sans réelle effusion de sang. Les membres du gouvernement déchu ont finalement donné leur appui à la junte, de même que les pays voisins.

D'autres, toutefois, exigent la mise en place d'une véritable démocratie.

Conté était lui-même arrivé au pouvoir à la faveur d'un coup d'État. La junte lui a réservé des funérailles nationales, et a prié Dieu qu'il lui donne «le courage de continuer son oeuvre de tolérance et de paix pour le bonheur de la Guinée».