Lorsque l'armée française a bombardé le nord du Mali, Mustapha Maïga a crié: «Vive la France! Vive le Mali!»

Il buvait du thé avec des amis dans une buvette à Tombouctou. Il vivait sous le joug des islamistes depuis 10 mois. Il n'en pouvait plus d'avoir peur, de ne pas fumer, d'éviter le regard des femmes, de ne pas écouter de musique et de vivre sous la menace de se faire fouetter ou jeter en prison. Il en avait jusque-là des islamistes qui terrorisaient Tombouctou.

Il a donc lancé: «Vive la France! Vive le Mali!» C'était un cri spontané.

Pendant ce fugitif instant de joie, il a oublié que les islamistes dominaient toujours la ville. Il avait à peine fini de prononcer le mot «Mali» qu'il recevait quatre balles dans le dos. Il est mort sur le coup. Il avait 35 ans.

Son père, Abdou Maïga, me montre la carte d'identité de son fils. Elle est tellement fripée qu'on distingue à peine les mots: «né vers 1977». Même si la photo est jaunie et craquelée, on devine les traits délicats de Mustapha, son visage ouvert, son regard sérieux, ses grands yeux noirs. Il laisse dans le deuil sa femme et son fils de 4 mois.  

Le père de Mustapha secoue la tête. Il est assis sur un banc de bois dans la pénombre de sa maison. Il porte un boubou (tunique longue et ample) et un chèche (turban touareg) d'un bleu profond. Il a quatre femmes et «jusqu'à» 20 enfants. Il est triste. Mustapha était camionneur, il faisait vivre la famille. «J'ai trois autres fils, précise le père. Tous camionneurs, comme moi.»

Abdou Maïga est en colère parce que les islamistes lui ont volé son fils. Il les exècre. «Tombouctou était comme une grande prison. Tout le monde avait peur, tout le monde se taisait, dit-il en mettant un doigt sur sa bouche. Aujourd'hui, on peut fumer, écouter de la musique et parler à qui on veut. Entendez-vous les tams-tams?»

Il sourit. Il écoute les tams-tams qui résonnent au loin, mais il n'entendra plus jamais la voix de son fils, mort la veille de la libération de Tombouctou.

Le maire de Tombouctou, Halle Ousmane, a souffert pendant les 10 mois où les islamistes ont conquis sa ville et planté des drapeaux noirs sur les édifices publics. Il n'a pas perdu un fils, mais sa ville a été prise en otage par des fous de Dieu.

C'était l'humiliation, la souffrance, l'impuissance, dit-il. On a vu nos femmes et nos filles maltraitées, violées, emprisonnées.»

Le maire est resté à Tombouctou, contrairement à plusieurs notables. Environ 20% de la population a fui.  

Il a souvent essayé de discuter avec les islamistes. En vain. «J'avais l'impression de parler à un mur. Rien ne passait.»

Le rapport de force était inégal. «Ils étaient armés, pas nous.»

Les islamistes insistaient pour que les écoles enseignent uniquement le Coran. Le maire s'y est opposé. C'est sa seule victoire.  

Pendant les heures noires où les islamistes emprisonnaient, violaient et fouettaient, Halle Ousmane s'est senti abandonné.

L'armée malienne était incapable de les battre.»

Tombouctou, cette ville du bout du monde, perdue dans le Sahara, était livrée pieds et poings liés aux mains des islamistes.  

Aujourd'hui, Tombouctou essaie de se relever.

L'état de la ville est déplorable, dit le maire. Il faut tout reprendre, tout refaire. Le commerce est moribond, les routes sont fermées, le lien avec le reste du pays est coupé. Si on n'ouvre pas la voie rapidement, c'est la catastrophe. On est en train d'étouffer la vie économique de Tombouctou.»

Il n'y a ni eau courante ni électricité, sauf quelques heures par jour, le réseau cellulaire fonctionne à peine, les écoles sont fermées et le couvre-feu existe toujours. À 20h, les rues se vident.  

La mairie a été saccagée, le bureau d'Halle Ousmane, démoli. «Regardez!», dit-il en se promenant à travers les débris.  

On devine la rage dans la bibliothèque arrachée, les vitres fracassées, les fauteuils déchirés, les papiers éparpillés. Même les toilettes ont été démolies. Les équipements, imprimantes, ordinateurs ont été volés. Tout est sens dessus dessous.

Halle Ousmane est fatigué. Il n'a pas dormi depuis trois jours. Il court à droite et à gauche, coincé entre la visite du président français François Hollande, les doléances de ses citoyens et les entrevues à la chaîne qu'il donne aux journalistes.  

Une tâche immense l'attend. Les gens comptent sur lui pour remettre la ville sur ses rails.