Le séjour forcé de plus de 10 ans des troupes canadiennes en Afghanistan a laissé des marques. Le Canada s'est borné jusqu'à présent à fournir un avion de transport C-17 pour appuyer l'intervention française au Mali, où des islamistes liés à Al-Qaïda contrôlent en partie le nord du pays. L'Afrique de l'Ouest est une zone dangereuse où des soldats canadiens seraient en danger, plaide-t-on.

Il y a un peu plus d'un an, le gouvernement Harper a organisé une cérémonie faste sur la colline du Parlement pour rendre hommage aux 2000 soldats canadiens qui ont combattu en Libye. Six mois plus tard, le premier ministre a annoncé la fin d'un engagement d'une décennie en Afghanistan, un effort qu'il a toujours soutenu.

Mais au moment où les combats font rage au Mali, et malgré les appels de son allié français, le gouvernement Harper demeure réticent à engager le Canada aux côtés de la force internationale mobilisée dans le pays. Une prudence à laquelle les conservateurs n'ont guère habitué les Canadiens en matière militaire.

Le gouvernement conservateur n'a pas encore décidé quelle suite il donnera aux demandes de la France, qui souhaite qu'Ottawa accroisse son soutien logistique à l'offensive. Le Canada a mis un avion de transport C-17 au service des alliés, mardi, mais cette mission ne doit durer qu'une semaine.

«La contribution du Canada demeure l'envoi d'un C-17 pour une semaine, a-t-on indiqué hier au bureau du ministre des Affaires étrangères, John Baird. Comme l'a dit le ministre, nous considérerons les requêtes de manière réfléchie.»

Or, selon nos sources, les conservateurs ne sont guère enthousiastes à la perspective d'engager les troupes canadiennes dans ce pays de l'Afrique de l'Ouest. La région est perçue comme l'une des plus dangereuses du monde et on craint que plusieurs soldats tombent si le Canada se joint aux combats.

Parmi les autres écueils, indique-t-on, l'opinion publique risque d'être moins favorable à une expédition au Mali. Et les coûts pourraient s'avérer prohibitifs, au moment précis où Ottawa tente d'éliminer le déficit.

«Le premier ministre sait bien que, comme nous sortons du conflit afghan qui a duré une décennie, ce sera beaucoup plus difficile de vendre une mission dans un nouveau bourbier africain», a indiqué une source conservatrice.

Pendant que le gouvernement hésite, l'opposition libérale critique. Le député Stéphane Dion s'explique mal la «timidité» des conservateurs à participer à l'effort militaire au Mali. Il fait valoir que le Canada a déjà engagé des centaines de millions en aide en Afrique de l'Ouest, en plus de nouer des liens diplomatiques étroits dans la région.

«Ce sont des pays dans lesquels le Canada a une expertise plus poussée que les autres parce que ce sont des pays francophones qu'on aide depuis très longtemps, affirme M. Dion. Si jamais un de ces pays devait tomber sous la coupe d'Al-Qaïda, ce qui se serait probablement déjà passé sans l'intervention de la France, imaginez les retombées très négatives que ça aurait pour toute la région.»

Pas surprenant

Le colonel à la retraite Michel Drapeau n'est guère surpris de la réticence du gouvernement Harper. Ce spécialiste voit mal comment le Canada peut s'engager de manière efficace au Mali sans déployer au bas mot 1500 soldats.

«On sait lorsqu'on entre dans ce genre de mission, mais on ne sait jamais quand on va en sortir, résume-t-il. L'expérience de l'Irak et de l'Afghanistan le démontre.»

Les islamistes proches d'Al-Qaïda, qui contrôlent le nord du pays, peuvent se fondre dans la population ou fuir par les frontières poreuses, souligne M. Drapeau. Afin de les déloger, il faudrait s'y engager pendant des mois, voire des années. Bref, il s'agit d'une «copie carbone» de la situation en Afghanistan.

Or, justement, l'armée canadienne rentre d'un effort de 10 ans en Afghanistan. Le commandement risque d'hésiter avant d'exposer les soldats - et leurs familles - aux périls d'une nouvelle mission de longue haleine.

Néanmoins, malgré les réserves du gouvernement, le Canada pourrait bientôt être forcé à s'engager, croit Michel Drapeau.

«On s'est rangés avec la France et l'Angleterre dans ce conflit-là et on a pris position. Parfois, c'est relativement facile de faire les premiers pas, on pense qu'on n'a pas le choix, mais c'est difficile de se retirer ensuite.»