Le premier ministre désigné d'Irak Haïdar al-Abadi recueillait mardi les soutiens de la communauté internationale qui l'a appelé à former rapidement un gouvernement d'unité susceptible de faire face à l'offensive jihadiste et sortir le pays du chaos.

Après avoir été poussé vers la sortie par les États-Unis, le premier ministre sortant Nouri al-Maliki, qui a contesté cette nomination, a aussi perdu le soutien d'un autre allié, le voisin chiite iranien.

La crise humanitaire s'aggravant, les Occidentaux s'employaient à venir en aide aux minorités chassées de leurs villes dans le nord irakien par les djihadistes de l'État islamique (EI) qui se sont emparés depuis le début de leur offensive le 9 juin de pans entiers du territoire au nord, à l'ouest et à l'est de Bagdad.

Un hélicoptère irakien transportant des déplacés yazidis et de l'aide humanitaire s'est écrasé peu après son décollage dans les monts Sinjar, selon des officiers. La députée yazidie Vian Dakhil, devenue le visage de sa communauté pour avoir évoqué en larmes le sort des déplacés, a été blessée dans l'écrasement, de même qu'une journaliste du New York Times et un photographe pigiste. Le pilote a été tué.

Après les États-Unis, l'Union européenne, la France et la Grande-Bretagne, les voisins iranien chiite et saoudien sunnite ont salué la nomination lundi de M. Abadi par le président Fouad Massoum. La Ligue des États arabes s'en est également félicitée.

Washington a aussitôt exhorté M. Abadi, qui a en principe jusqu'au 10 septembre pour nommer ses ministres, à former «dès que possible» son gouvernement et à l'élargir à toutes les forces politiques dans un pays longtemps déchiré par les divisions confessionnelles.

Selon le président Barack Obama, ce cabinet doit représenter «les intérêts légitimes de tous les Irakiens et unir le pays dans la lutte contre l'EI».

Et pour les aider dans cette lutte, Washington a transféré des armes, via le gouvernement irakien, aux combattants kurdes qui tentent de repousser les jihadistes.

Les jeux sont faits

Dans une allusion transparente à M. Maliki, M. Obama a appelé «tous les dirigeants politiques irakiens à travailler pacifiquement dans les jours à venir».

Lundi, M. Maliki a dénoncé la nomination de M. Abadi, un ancien de ses proches, comme «une violation de la Constitution» menée selon lui avec le soutien des États-Unis.

Mais même s'il cherche à s'agripper à son poste après huit ans au pouvoir, M. Maliki semble bel et bien avoir perdu sa bataille après avoir été lâché de toutes parts, ses détracteurs comme ses anciens alliés imputant le chaos dans le pays à sa politique d'exclusion des sunnites et à son autoritarisme.

C'est cette marginalisation de la minorité sunnite dans un pays majoritairement chiite qui a alimenté l'offensive des jihadistes, accusent-ils.

«Maliki est fini politiquement», affirme Hayder al-Khoei, chercheur associé au think-tank Chatam House. Cependant, nuance-t-il, il bénéficie «d'un vaste réseau au sein des forces de sécurité; il a des hommes aux renseignements, des officiers de sécurité» qui doivent «leurs emplois à Maliki».

Mais le premier ministre sortant, qui reste commandant en chef des forces armées jusqu'à la prestation de serment de son successeur, s'est empressé de demander aux forces armées de rester à l'écart de la crise politique à la suite de craintes sur leur possible intervention.

Pour Kirk Sowell, l'éditeur de la lettre d'information Inside Iraqi Politics, les jeux sont faits surtout après le soutien iranien apporté à M. Abadi.

Déshydratés et épuisés

Dans ce contexte qui reste explosif, les forces spéciales, la police et l'armée étaient déployées en force dans la capitale Bagdad, aux abords de positions stratégiques.

Plus au nord, les États-Unis, impliqués pour la première fois militairement en Irak depuis le retrait de leurs troupes fin 2011, ont mené lundi des frappes aériennes sur des positions jihadistes pour le quatrième jour consécutif, notamment près de Sinjar, bastion de la minorité yazidie.

Les frappes ont été autorisées par M. Obama dans le but de protéger le personnel américain à Erbil, la capitale du Kurdistan irakien, et éviter un éventuel «génocide».

L'avancée des jihadistes a jeté des centaines de milliers de personnes sur les routes, notamment des chrétiens chassés de Mossoul et de Qaraqosh, mais aussi des dizaines de milliers de membres de la minorité kurdophone et non musulmane des Yazidis.

De 20 000 à 30 000 membres de la communauté yazidie restent piégées par l'insécurité dans les montagnes de Sinjar, sans nourriture, sans eau et sans abri, selon le Haut Commissariat de l'ONU aux réfugiés. Des milliers d'autres, épuisés et déshydratés, ont réussi à rejoindre le Kurdistan via la Syrie.

Les frappes aériennes sont accompagnées de largages humanitaires américain et britannique. Paris a aussi envoyé de l'aide.

Mais ces actions ont été jugées insuffisantes par des experts de l'ONU pour les droits de l'homme qui ont appelé dans un message la communauté internationale à prendre toutes les mesures possibles en urgence pour empêcher «une atrocité de masse et un génocide potentiel dans les heures et les jours à venir».

La Commission européenne a annoncé une nouvelle aide de cinq millions d'euros afin de venir en aide aux populations déplacées et aux communautés qui doivent accueillir les réfugiés.

Une réunion à Bruxelles des ambassadeurs de l'UE est en cours pour coordonner une action humanitaire.

Enfin, dans une déclaration d'une extrême fermeté, le Vatican a demandé aux responsables musulmans de condamner «sans aucune ambiguïté» la barbarie» de l'EI, estimant qu'«aucune cause, et sûrement pas une religion, ne saurait la justifier».