Les djihadistes sunnites contrôlant de larges pans de territoires en Irak et en Syrie voisine affichent leur détermination à étendre leur hégémonie en annonçant la création d'un califat islamique et en appelant les musulmans dans le monde à prêter allégeance à leur chef.

Cette nouvelle donne, qui risque de modifier les frontières existantes, va sans doute susciter des réactions alarmistes chez les Occidentaux et les pays arabes considérés comme modérés, et provoquer l'ire de la communauté chiite, majoritaire en Irak et chez le voisin iranien.

Elle va rendre encore plus ardue la tâche des forces irakiennes qui tentent de reprendre les régions conquises lors d'une offensive fulgurante lancée le 9 juin par l'État islamique en Irak et au Levant (EIIL). Ce groupe, qui se fait appeler désormais «l'État islamique», a bien montré par l'annonce d'un califat qu'il était là pour rester.

Il a indiqué que son «califat» s'étendait au départ de la ville d'Alep (nord de la Syrie) à Diyala (est de l'Irak) et prévenu qu'il était du «devoir» de tous les musulmans du monde de prêter allégeance à son chef, Abou Bakr Al-Baghdadi, proclamé «calife».

Les autorités irakiennes et syriennes n'ont pas encore réagi à l'annonce faite dimanche dans un enregistrement sonore par le porte-parole du groupe ultra radical accusé d'exécutions sommaires et d'autres abus.

En Irak, le Parlement doit se réunir mardi pour déclencher le processus de formation d'un gouvernement, appelé à rassembler toutes les composantes pour faire face à la menace djihadiste, parallèlement à l'action militaire qui se concentre actuellement sur la reprise de la ville de Tikrit aux insurgés.

«Rejetez les ordures de l'Occident»

«D'un point de vue géographique, l'État islamique est déjà parfaitement opérationnel en Irak et en Syrie. Il est en outre présent - mais caché - dans le sud de la Turquie, semble avoir établi une présence au Liban, et a des partisans en Jordanie, à Gaza, dans le Sinaï, en Indonésie, en Arabie saoudite, et ailleurs», affirme Charles Lister, chercheur associé à Brookings Doha.

«Il pourrait bien s'agir de la naissance d'une ère nouvelle du djihadisme transnational», dit-il en soulignant que l'annonce de la création d'un califat «fait peser une menace considérable sur Al-Qaïda et son rôle de leader de la cause djihadiste mondiale».

Selon lui, Al-Baghdadi pourrait désormais ordonner des opérations au-delà des frontières syriennes et irakiennes, «peut-être en Jordanie, ou en Arabie saoudite». Et «on peut s'attendre à une augmentation de la violence en Irak dès aujourd'hui».

Le calife désigne depuis la mort du prophète Mahomet son successeur comme «émir des croyants» dans le monde musulman, mais ce régime a disparu avec le démantèlement de l'Empire ottoman.

L'État islamique a donné le ton en annonçant le califat. «Musulmans (...) rejetez la démocratie, la laïcité, le nationalisme et les autres ordures de l'Occident. Revenez à votre religion», a lancé son porte-parole Abou Mohammad al-Adnani dans un enregistrement audio.

Tikrit encerclée par l'armée

Au départ, l'EIIL était une émanation de l'État islamique en Irak (ISI), la branche irakienne d'Al-Qaïda implantée en Irak. Après son engagement dans la guerre en Syrie contre le régime en 2013 et le refus de la branche syrienne d'Al-Qaïda de fusionner avec lui, le groupe a ouvertement contesté l'autorité du chef d'Al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri.

Ses combattants aguerris livrent depuis combat aussi bien aux rebelles qu'au régime en Syrie, où ils ont fait de la ville de Raqa (nord) une «capitale» très organisée et contrôlent une grande partie de la province de Deir Ezzor (est) frontalière de l'Irak, ainsi que des positions dans celle d'Alep.

En Irak, où il bénéficie du soutien d'ex-officiers de Saddam Hussein, de groupes salafistes et de certaines tribus, le groupe est implanté depuis janvier dans la province d'Al-Anbar (ouest) et a mis la main depuis trois semaines sur Mossoul, deuxième ville du pays, une grande partie de sa province Ninive (nord), ainsi que des secteurs des provinces de Diyala (est), Salaheddine et Kirkouk (ouest).

Leur principal ennemi en Irak est le premier ministre Nouri al-Maliki, un chiite accusé d'avoir pendant des années la minorité sunnite qui avait dirigé le pays pendant des décennies durant le règne de Saddam Hussein, renversé après l'invasion américaine en 2003 et exécuté trois ans plus tard.

Pour aider l'armée irakienne à regagner du terrain après sa débandade initiale, la Russie a livré cinq avions de combat Sukhoi et les États-Unis ont envoyé des experts militaires et des drones pour survoler Bagdad.

L'armée encerclait lundi la ville de Tikrit (160 km au nord de Bagdad), fief de Saddam Hussein, et chef-lieu de la province de Salaheddine. Des milliers de soldats participent à cette plus importante contre-offensive lancée samedi avec l'appui des chars et de l'aviation.