Le pape François s'est immiscé jeudi dans le débat sur la liberté d'expression qui fait rage depuis l'attentat meurtrier contre l'hebdomadaire Charlie Hebdo en France, en jugeant que ce «droit fondamental» n'autorisait pas à «insulter» ou moquer la foi d'autrui.

Dans l'avion qui le conduisait pour une visite de cinq jours aux Philippines, bastion du catholicisme en Asie, le pape a condamné les meurtres perpétrés, au nom de la religion, à Paris au siège du journal satirique Charlie Hebdo où des djihadistes disant vouloir venger le prophète Mahomet ont tué 12 personnes la semaine dernière.

La liberté d'expression est un «droit fondamental», a-t-il souligné. «Tuer au nom de Dieu» est une «aberration». Mais la liberté d'expression n'autorise pas tout et elle doit s'exercer «sans offenser», a-t-il martelé. Car «si un grand ami parle mal de ma mère, il peut s'attendre à un coup de poing, et c'est normal. On ne peut provoquer, on ne peut insulter la foi des autres, on ne peut la tourner en dérision!», a-t-il insisté.

«Pensons à notre Saint-Barthélémy»

«Il y a tant de gens qui parlent mal des autres religions, les tournent en dérision, font un jouet de la religion des autres : ce sont des gens qui provoquent», a encore dit le pape, qui s'exprimait en italien.

Charlie Hebdo, menacé depuis plusieurs années par des groupes djihadistes pour avoir publié des caricatures de Mahomet, a également toujours revendiqué sa laïcité, voire son anticléricalisme, n'hésitant pas à ridiculiser évêques et papes.

«Ce qui se passe actuellement (avec les attentats djihadistes) nous étonne, mais pensons à notre Église! Combien de guerres de religion, nous avons eues, pensons à la nuit de la Saint-Barthélémy (massacre déclenché par les catholiques contre les protestants français et qui a marqué le début du XVIe siècle des guerres de religion). Nous avons été aussi pécheurs», a-t-il cependant rappelé.

6 millions de fidèles attendus

Ce second périple du pape argentin en Asie après son voyage en Corée du Sud est destiné à encourager une région perçue comme une terre d'avenir pour le catholicisme. Si les catholiques ne représentent que 3% de la population asiatique, 80% des 100 millions d'habitants des Philippines, ancienne colonie espagnole, pratiquent un catholicisme extrêmement fervent.

«Chacun de ses pas, chacun de ses déplacements en voiture, chaque moment passé avec nous, sont précieux», a dit l'archevêque Socrates Villegas, président de la Conférence des évêques des Philippines.

Le point fort du séjour devrait être la messe finale au Rizal Park de Manille dimanche, en dépit de prévisions météorologiques maussades.

D'après les organisateurs, jusqu'à six millions de fidèles y sont attendus, soit davantage que les cinq millions de personnes réunies par Jean Paul II lors des Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) de 1995, qui avaient déjà eu lieu dans la capitale philippine.

«Je veux vraiment voir le pape, pas seulement à la télé, alors je suis prête à des sacrifices», expliquait Vanessa Tupaz, une vendeuse de 54 ans, à propos des dangers inhérents à une foule immense. «On a le sentiment que des bienfaits vont arriver, que nos prières seront entendues».

Le pape de 78 ans, qui fait face à un programme très chargé, se rendra samedi à Tacloban, sur l'île de Leyte, à 650 km de Manille. En 2013, le typhon Haiyan y avait fait 7350 morts ou disparus.

La visite risque d'être chaotique, l'aéroport a tout juste été réparé, des centaines de milliers de gens sont attendus, par terre et par mer. Le pape a répondu au souhait des évêques philippins qu'il manifeste la solidarité de l'Église dans ce désastre naturel.

François, qui prépare une encyclique sur l'environnement, devrait y aborder la question de la prévention des désastres naturels et des dommages à l'environnement.

Il a d'ores et déjà espéré que les différents États «soient plus courageux à Paris» lors de la conférence internationale prévue fin 2015 dans la capitale française sur le réchauffement climatique qu'ils ne l'avaient été à Lima à l'automne dernier. Cauchemar sécuritaire

Plus de 40 000 soldats et policiers seront déployés dans l'archipel où deux souverains pontifes, Paul VI et Jean Paul II, ont été l'objet de tentatives d'assassinats.

«Cette année, cela représentera notre plus gros cauchemar en termes de sécurité», a commenté le chef de l'armée philippine, le général Gregorio Catapang.

Le président Benigno Aquino a supplié les Philippins de garder leur calme et d'éviter de créer des bousculades qui pourraient mettre en danger la sécurité du pape.

«Je vous le demande, voulez-vous qu'une tragédie impliquant le pape survienne aux Philippines et reste dans l'Histoire?», a-t-il lancé.