Huit heures et demie sans bouger, caché sous un lavabo : Lilian Lepère, employé d'imprimerie de 26 ans, a raconté comment il avait réchappé aux frères Kouachi, les djihadistes auteurs de la tuerie de Charlie Hebdo qui s'étaient retranchés dans son entreprise.

Comme son patron, Michel Catalano, 47 ans, gérant de l'imprimerie de Dammartin-en-Goële, à une quarantaine de km au nord de Paris, le jeune graphiste se défend de tout héroïsme.

Interrogé sur la chaîne de télévision France 2, Lilian Lepère explique avoir «repris un train-train quotidien», «une vie normale». «Je ne suis pas un héros», a assuré de son côté Michel Catalano.

Son graphiste, Lilian, grand jeune homme aux cheveux longs, dessinateur comme les caricaturistes de Charlie Hebdo, qui a aussi parlé à la radio Europe 1, lui doit pourtant la vie.

«En position de foetus»

Vendredi 9 janvier: se rendant compte que les frères Kouachi, en cavale depuis deux jours, vont pénétrer dans son entreprise, Michel Catalano enjoint à son employé de se cacher sous un lavabo. C'est la seule cachette possible et pour... une seule personne.

«En foetus», Lilian Lepère réussit pendant huit heures et demie à ne pas dévoiler sa présence. «Un meuble avec deux portes battantes, à côté du siphon. C'est pas très grand (...) 70 cm par 90 cm, avec 50 cm de profondeur, sans pouvoir faire un mouvement».

Si on bouge, «la porte s'ouvre d'un côté et ils étaient retranchés dans le bureau de mon directeur, dans la pièce mitoyenne (...) Si je faisais un bruit, ça tapait dans leur mur», a-t-il expliqué.

Pendant ce temps, Michel Catalano, visage avenant, reste calme, parle avec les deux hommes surarmés. Il confie avoir pensé que sa dernière heure était arrivée et n'avoir qu'une obsession: que son employé survive.

Il propose un café à ses ravisseurs, soigne l'un d'eux blessé, va jusqu'à lui refaire deux fois son pansement.

Sous le lavabo, Lilian Lepère pense à mettre son portable sur silencieux. «Le temps passe très très lentement, on n'espère qu'une chose, que ça passe très très vite». «On essaie de se replacer un petit peu parce qu'on a très très mal, les positions sont très, très limitées».

La tension atteint un sommet lorsque l'un des tueurs vient boire au robinet, juste au-dessus de sa tête. «Le cerveau arrête de penser, la respiration s'arrête de fonctionner, le coeur s'arrête de battre».

Le siphon est percé, l'eau lui coule dans le dos. Si le djihadiste «s'était essuyé les mains et qu'il avait pris la serviette étendue sur la porte», elle se serait ouverte... Mais il ne le fait pas.

Via SMS, Lilian Lepère donne des informations à la police.

Dans l'un de leurs rares gestes d'humanité depuis le massacre à Charlie Hebdo, les Kouachi relâchent le patron de l'imprimerie. Et dans l'après-midi effectuent une sortie suicidaire de l'imprimerie en tirant en rafale, tombant sur les balles des forces de l'ordre.

«La libération»

«Je me dis: 'c'est la libération'», précise le jeune homme, qui brave l'interdiction de sortir de son trou émise par l'unité d'élite de la gendarmerie (GIGN) tant qu'elle n'a pas pénétré dans la pièce.

Mais Lilian Lepère craint que la porte de la pièce, proche du lavabo, ne soit piégée. Par précaution il préfère se mettre au plus loin en attendant ses libérateurs.

Lors de leurs entretiens aux médias, Michel Catalano, qui cherche le moyen financier de faire revivre son entreprise dévastée par la fusillade entre les frères djihadistes et les forces de l'ordre, et Lilian Lepère se montrent étonnamment sereins.

Seul moment de craquement, avec des larmes aux yeux, lorsque chacun d'entre eux évoque la vie de l'autre ou le remercie...