Les deux djihadistes français recherchés pour l'attaque contre le journal Charlie Hebdo étaient de longue date dans le viseur des services antiterroristes français, mais cela ne les a pas empêchés de passer à l'acte, une surveillance policière permanente étant impossible, soulignent des experts.

La traque des frères Chérif et Saïd Kouachi, soupçonnés d'être les tueurs qui ont attaqué l'hebdomadaire satirique parisien, faisant 12 morts, s'est intensifiée jeudi.

Le cadet, Chérif, 32 ans, est bien connu des services antiterroristes français: il a été impliqué dans une filière d'envoi de djihadistes en Irak en 2005, jugé, condamné. Il a ensuite été soupçonné d'avoir participé à la tentative d'évasion d'une figure de l'islam radical, avant de bénéficier d'un non-lieu.

«Mais ce n'est pas parce que vous êtes connu, logé (localisé, NDLR), que vous êtes surveillé en permanence», confie à l'AFP Éric Dénécé, directeur du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). «À un moment, la surveillance s'arrête, surtout si vous êtes assez malin pour vous tenir à carreau pendant un moment. Ce sont les trous inévitables dans les mailles du filet».

Jeudi matin, le premier ministre Manuel Valls a indiqué que «ces individus étaient sans doute suivis, mais il n'y a pas de risque zéro» face au risque d'attentat.

Le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, confirmait lui que «ces individus avaient fait l'objet de surveillance», mais que «leur statut n'était pas judiciarisé (il n'y avait pas de procédure judiciaire en cours les visant). Il n'y avait pas d'éléments les concernant témoignant de l'imminence d'un attentat».

Une source policière a confirmé jeudi à l'AFP que les deux frères n'étaient effectivement pas surveillés «en tant que cibles pouvant passer à l'acte», bien que Chérif soit l'objet d'une fiche «S» (Sûreté de l'État), ce qui est «logique étant donné son passé». Il est établi qu'il n'avait à priori pas effectué de «voyage récent» à l'étranger. Des vérifications sont en cours pour les autres.

«Pas les moyens»

À la menace d'attaque terroriste islamiste traditionnelle, à laquelle la France est soumise depuis les années 1980, s'est ajoutée au cours des derniers mois le retour dans l'hexagone de centaines d'apprentis-djihadistes passées par l'Irak ou la Syrie. Cela multiplie d'autant les suspects potentiels et menace d'ensevelir les enquêteurs sous les fausses pistes.

«Nous n'avons bien sûr pas les moyens de placer tout ce beau monde sous surveillance permanente», confiait récemment à l'AFP, sous couvert de l'anonymat, l'un des responsables français de la lutte antiterroriste. «Alors ce que nous faisons, c'est que nous établissons des listes. Ceux qui semblent les plus dangereux, les plus susceptibles de passer à l'action sont surveillés en permanence, les autres moins, en fonction des moyens. La liste évolue sans arrêt, certains montent, d'autres descendent. Tout l'art consiste à avoir les bons noms à la bonne place, et ce n'est pas facile...»

Un bon connaisseur du dossier ajoute que «la surveillance 24 heures sur 24 d'un seul suspect, qui en plus utilise souvent trois ou quatre téléphones différents, c'est trente flics. Comment voulez-vous faire? La seule solution, ce sont les listes de priorités».

Les projets d'attentats récemment déjoués, les filières démantelées et les réseaux neutralisés prouvent que la France est soumise à une menace protéiforme, constituée à la fois d'apprentis-terroristes entraînés et déterminés, de djihadistes aguerris, d'illuminés ou de marginaux et de toutes les variations possibles entre ces profils.

«Dans notre pays, le dispositif juridique pour lutter contre cette menace existe et est efficace», ajoute Éric Dénécé. «Pour tout surveiller il faudrait envisager une augmentation massive des effectifs policiers, ce qui d'un côté poserait un problème démocratique et qui de toute façon ne serait pas forcément efficace, les enquêteurs seraient submergés... On est dans la menace asymétrique au sens propre du terme.