Ils étaient non seulement collègues, mais aussi complices dans l'indignation, la satire et l'irrévérence. Une perte immense, a constaté hier Olivier Royant, directeur de Paris Match, où collaboraient deux d'entre eux. «On se rend compte, à la faveur de ce drame, à quel point les dessinateurs en France sont une grande tradition.»

Stéphane Charbonnier, Charb, 47 ans

«Le meilleur médicament contre la violence, c'est l'humour et la dérision.» Sur les ondes de France Info, en 2013, Charb avait réagi ainsi à la polémique entourant la publication de sa BD La vie de Mahomet. En 1992, il se joint à son idole Cabu pour redémarrer Charlie Hebdo, dont il prend les rênes en 2009. En 2012, lors de la publication de caricatures de Mahomet, Charb avait dit qu'il ne céderait pas aux menaces: «Je n'ai pas d'enfants, pas de femme, pas de voiture, pas de crédit. C'est peut-être un peu pompeux, ce que je vais dire, mais je préfère mourir debout que vivre à genoux.»

La dernière caricature de Charb 

Georges Wolinski, 80 ans

Son trait souple illuminé de couleurs vives est bien connu notamment des lecteurs de Paris Match. Le dessinateur impertinent, qui a dirigé Charlie de 1970 à 1981, a d'ailleurs essuyé des railleries lorsqu'il a commencé au Paris Match, il y a 20 ans, se rappelle le directeur Olivier Royant. «On lui demandait: as-tu toujours travaillé avec des journaux qui correspondaient à tes opinions? Il répondait: "J'ai pas d'opinion, j'ai que des convictions." » Wolinski, à 80 ans, «avait toujours le feu sacré comme au premier jour», a dit M. Royant en entrevue hier. Dans Le Monde, Wolinski, délicieusement provocateur, était cité ainsi: «Je veux être incinéré. J'ai dit à ma femme: tu jetteras les cendres dans les toilettes, comme cela je verrai tes fesses tous les jours.»

Une caricature de Wolinski 

Jean Cabut Cabu, 76 ans

Il est l'auteur de l'une des couvertures les plus controversées de l'histoire de Charlie Hebdo, celle du prophète Mahomet qui traite ses fidèles de «cons». Et pourtant, racontait hier le dessinateur Philippe Delestre sur les ondes de France Info, «c'était l'homme le plus gentil que j'ai jamais connu». À partir des années 60, Cabu a collaboré à une myriade de médias français, depuis le magazine de bande dessinée Pilote (où il crée le Grand Duduche) jusqu'à la presse grand public, en passant par Le Canard enchaîné. Il était également père du chanteur Mano Solo, disparu en 2010.

Une caricature de Cabu 

Bernard Verlhac Tignous, 47 ans

Collaborateur aux magazines Marianne, Fluide Glacial et L'Écho des savanes, Tignous (la «teigne») faisait partie de l'équipe Charlie Hebdo depuis les années 80. Il était père de quatre enfants. Lors d'un voyage en Colombie à l'occasion du Forum international des caricaturistes pour la paix et la liberté d'expression, en 2010, il a déclaré dans une entrevue diffusée sur le site de l'ambassade de France: «Un dessin réussi prête à rire. Quand il est vraiment réussi, il prête à penser. S'il prête à rire et à penser, alors c'est un excellent dessin. Mais le meilleur dessin prête à rire, à penser et déclenche une certaine forme de honte. Le lecteur éprouve de la honte d'avoir pu rire d'une situation grave. Ce dessin est alors magnifique car c'est celui qui reste. Mais ils sont rares car il est très difficile d'obtenir les trois en même temps.»

Une caricature de Tignous 

Philippe Honoré

Collaborateur à Libération, au Monde et aux Inrockuptibles, Honoré est entré en 1992 à Charlie Hebdo. Son style est décrit comme suranné et épuré, satirique et incisif. Honoré est l'auteur du dernier dessin diffusé sur le fil Twitter de l'hebdomadaire, quelques minutes avant l'arrivée des tireurs: Abou Bakr al-Baghdadi, chef de l'organisation État islamique (EI), souhaite une «bonne santé» aux lecteurs...

Philippe Honoré est l'auteur de ce dernier dessin diffusé sur le fil Twitter de Charlie Hebdo

Les autres victimes

- Bernard Maris, «Oncle Bernard», 68 ans

Économiste iconoclaste de gauche, Bernard Maris était reconnu pour la qualité de sa pensée et son art de la vulgarisation.

Ce chercheur intervenait régulièrement à la radio, à la télévision et dans la presse. Il rédigeait dans l'hebdomadaire satirique chaque semaine une chronique réputée qu'il signait «Oncle Bernard».

Originaire du Sud-Ouest, dont il avait gardé l'accent, cet économiste défendit longtemps les thèses de la décroissance, fustigeant les ravages de la société de consommation. Ses «Anti-manuels d'économie» sortis au début des années 2000 ont connu un grand succès.

- Elsa Cayat, 54 ans.

Psychiatre et psychanalyste, seule femme tuée dans l'attaque, Elsa Cayat passait deux fois par mois au crible des faits de société dans sa rubrique Charlie Divan. Elle était l'auteur de livres sur le couple et la sexualité.

- Mustapha Ourrad, correcteur de Charlie Hebdo.

Né en Algérie, orphelin, autodidacte, il était arrivé en France à vingt ans, selon le quotidien Le Monde, qui indique qu'il était apprécié pour ses qualités de correcteur, son érudition, mais aussi son sens aigu de l'autodérision.

- Michel Renaud, 69 ans.

Fondateur du festival Rendez-vous du carnet de Voyage, à Clermont-Ferrand. Ancien journaliste devenu directeur adjoint du cabinet de l'ancien maire de la ville, grand voyageur, il était invité de Charlie Hebdo et participait à la conférence de rédaction, à l'initiative de Cabu, qui avait été invité d'honneur de son dernier festival.

- Frédéric Boisseau, 42 ans.

Agent de maintenance de la société Sodexo. Ce père de deux enfants se trouvait dans le hall d'entrée du journal pour effectuer des travaux d'entretien du bâtiment.

- Franck Brinsolaro, 49 ans.

Ce brigadier était membre du Service de la protection, chargé d'assurer la sécurité des dirigeants français ou étrangers en visite en France, ainsi que des personnes menacées. Marié et père de deux enfants, il était chargé de la protection de Charb.

- Ahmed Merabet, 42 ans.

Policier du commissariat du XIe arrondissement de Paris. Il est blessé lors d'un échange de tirs avec les auteurs de l'attaque, avant d'être froidement abattu par l'un d'eux sur le trottoir, une scène filmée dans une vidéo authentifiée par les enquêteurs et qui a fait le tour du monde.

- AFP 

Photo archives AFP

Bernard Maris 

PHOTO ALEXANDER KLEIN, ARCHIVES AFP

Le dessinateur Riss