Ibrahim El Bakraoui était «dans la précipitation», «recherché de partout». Il n'était «plus en sécurité». Si le jeune terroriste en devenir s'éternisait, il «risquait de terminer à côté de lui dans une cellule».

«Lui» ? Les médias belges montrent du doigt Salah Abdeslam, présumé coordonnateur des attentats de Paris, arrêté la semaine dernière à Bruxelles. 

Ce sont des fragments du testament virtuel que le kamikaze a abandonné dans l'une des poubelles de la rue Max-Roos, à Schaerbeek.

Tout autour, un quartier rapidement devenu le plus scruté d'Europe. Avec une forte population d'origine maghrébine, la commune n'a pas tardé à être qualifiée de ghetto social dans la presse belge.

DE SECTEUR BOURGEOIS À TERRE D'ACCUEIL

La rue Max-Roos est assez courte. Pour l'atteindre à partir du centre de Bruxelles, on parcourt pendant plusieurs dizaines de minutes des rues essentiellement occupées par des commerces maghrébins. Marchands de volaille halal, hammams, hijabs en vitrine. Narguilé et boisson gazeuse : 10 euros. Un Petit Maghreb sur quelques kilomètres.

La commune où est né Jacques Brel, naguère un secteur petit-bourgeois, s'est transformée au fil des décennies en terre d'accueil. Après Molenbeek en novembre, c'est à son tour d'être assaillie par la presse internationale.

Au 43, rue Max-Roos, Karim discute au téléphone pendant qu'une femme balaie les dégâts laissés par les perquisitions de la veille. «Je dois contacter mes assurances, c'est ça ? Des frais administratifs ?» Au pied du beau bâtiment, des éclisses de bois et une gâche de métal.

Il raccroche. «Ils ont rien trouvé ici», dit le propriétaire. Cheveux courts, barbe de quelques jours. Les attentats ? «Franchement, c'est rien. Quand vous voyez 270 000 morts en Syrie, 80 % ce sont des enfants.» Il s'anime. «Eux, il y a 34 morts, et c'est la panique. S'ils [les Belges] cessaient de tuer des enfants, il n'y aurait jamais eu de problème. Mais tant qu'ils attaquent les enfants...»

«Tant qu'ils vont combattre dans les États qui ne leur appartiennent pas, ils auront toujours des représailles. Et ça va durer», ajoute-t-il, comme pour plus de clarté.

«AU NOM DE QUOI ILS PEUVENT EN ARRIVER À ÇA ?»

Sur place, au pied de l'immeuble garni de dalles de béton noircies par l'humidité, un voisin de palier témoigne. «On les entendait pas», raconte Jhon Jairo Valderrama en espagnol. «Ils restaient à l'intérieur.»

D'autres résidants se chagrinent de voir leur quartier utilisé comme base pour commettre des attentats meurtriers. Abdel Haldjaoui, 26 ans, était venu voir les opérations de police la veille. Il est revenu hier. «Ça m'attriste», dit-il. «Au nom de quoi ils peuvent en arriver à ça ? »

Un peu plus loin, Jean-Bernard refuse d'y croire. «On s'y attend, à des événements comme ça», mais pas ici, «c'est un quartier extrêmement calme». «Je pense que c'est juste quelques personnes» qui créent les problèmes, ajoute-t-il.

À 200 mètres de là, la magnifique gare de briques de Schaerbeek, terminée en 1913, mi-palais oriental, mi-demeure flamande.

Deux militaires en habits de camouflage montent la garde. Une jeep kaki est stationnée en face. La place est déserte.