L'attentat qui a frappé hier le magazine Charlie Hebdo ne touche pas que la France, mais «tous ceux qui croient à la liberté d'expression», ont affirmé de nombreux caricaturistes canadiens joints par La Presse. Ébranlés, choqués ou même révoltés, ils ont unanimement lancé un appel à la solidarité.

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Lorsqu'il a pris connaissance de la nouvelle, André-Philippe Côté, caricaturiste au Soleil de Québec, a senti qu'on s'en prenait à sa famille. «J'étais en état de choc, profondément ébranlé. Nous, les caricaturistes, formons un tout. J'espère qu'il y aura un mouvement de fond et que l'on dénoncera les idéologies qui dérivent aux extrêmes», a-t-il dit.

Mais comment réagir à cette attaque, au cours de laquelle 12 personnes - dont 8 journalistes - ont été assassinées? Que dessiner pour le journal du lendemain? M. Côté devait trouver réponse à ces questions, pour son quotidien d'abord, mais aussi pour La Presse, exceptionnellement orpheline de caricaturiste pour la journée.

En effet, en raison d'un «mauvais hasard de la vie», Serge Chapleau était sur la table d'opération lorsqu'on lui a annoncé ce qui se déroulait à Paris.

«Je suis rentré en salle d'opération à 6h30, alors j'ai tout manqué ça. On est venu m'en parler, mais l'anesthésiste a vite mis fin à la discussion, voyant ma pression monter», nous a-t-il raconté de son lit de convalescence.

Devant un acte si violent, les journalistes seront-ils tentés de s'autocensurer? Il ne faut pas, répond-il.

«C'est clair que la tentation sera là, mais après réflexion, je me dis que nous nous dirons pour la plupart «fuck it»». Faut y aller, faut continuer. Sinon, lâche ta job.»

D'après Pierre Huet, ancien rédacteur en chef de Croc, le magazine satirique québécois n'aurait jamais existé sans Charlie Hebdo. «On a tous été sevrés à l'oeuvre des dessinateurs qu'il y avait là-dedans», affirme-t-il.

«J'ai assisté à une de ces réunions hebdomadaires légendaires de Charlie Hebdo [...] où on bouclait l'édition de la semaine. Je revois encore la scène: une très longue table couverte de feuilles de papier, de croquis, de saucissons et de nombreuses bouteilles de vin.»

Un «acte de guerre»

Le caricaturiste Garnotte, dont les dessins sont publiés dans Le Devoir, croit pour sa part que l'attentat visant les artisans de Charlie Hebdo est un «acte de guerre».

«C'est tellement démesuré, une telle réaction, par rapport à un magazine qui publie des caricatures... C'est illogique, absurde. J'espère pour ma part qu'il y aura un élan de solidarité. Tous les caricaturistes vont continuer leur travail, défendre davantage la liberté d'expression. On se rend compte à quel point c'est fragile, tout ça, et que ça peut basculer rapidement», a-t-il affirmé.

De Québec, le caricaturiste à l'Agence QMI, Ygreck, travaillait déjà à ses dessins hier matin quand il a vu la nouvelle apparaître sur son fil Twitter.

«Au début, je me disais que c'était un autre événement, sans en mesurer l'ampleur. Puis, ce fut l'état de choc», a-t-il raconté.

«Je ne sais pas comment les médias répondront à cette attaque, mais je pense que ça va générer un sentiment d'unité. Nous, les caricaturistes, avons un statut privilégié. Nous symbolisons, au sein même de nos rédactions, la liberté d'expression. [...] Mais cette guerre vise justement les symboles», a ajouté Ygreck.

Son collègue au Journal de Montréal, Marc Beaudet, a eu pour sa part beaucoup de difficulté à se mettre au travail en prévision du journal du lendemain.

«C'est la caricature la plus difficile que j'ai eu à faire de ma vie, parce que je suis émotionnellement impliqué. Si l'objectif était de nous fermer la trappe, c'est le contraire qui va se passer. On a voulu briser le crayon en 10 morceaux, eh bien, ces 10 morceaux vont encore dessiner», a-t-il affirmé.

«Pourquoi continuer si je ne suis plus libre?»

Les caricaturistes du Rest of Canada ont eu une réaction similaire à celle de leurs confrères québécois: ils étaient ébranlés ou, comme dirait Theo Moudakis, du Toronto Star, ils étaient en colère.

«Comment devrions-nous réagir? Voilà une bonne question... J'ai passé ma journée à tenter de concevoir un dessin et à choisir un ton. Devais-je être sentimental? Non. Je crois que le sentiment qui résume tout est la colère», a-t-il expliqué.

Son confrère du National Post, Gary Clement, s'est dit «horrifié et inquiet», ajoutant qu'il espère que les caricaturistes ne se censureront pas par crainte de représailles.

«Cet attentat est insensé. Mais pour ma part, je ne crois pas que je vais y penser à deux fois avant de publier un dessin. La raison pour laquelle je fais ce métier, c'est pour avoir la liberté de dire ce que je veux. Je ne vois pas pourquoi je continuerais si je ne l'avais plus.»

«J'admire énormément les journalistes de Charlie Hebdo d'avoir poursuivi ces dernières années leur travail, malgré les menaces. Ils sont courageux», a affirmé Brian Gable, caricaturiste pour The Globe and Mail.

Mais devant tant de violence, les caricaturistes relèveront leurs manches et dessineront à nouveau, ont promis les caricaturistes canadiens en entrevue avec La Presse.

«C'est bête et simple, mais j'espère qu'il y aura une défense vigoureuse de la liberté d'expression de toutes parts. J'espère que les ennemis de la liberté d'expression auront au final commis une erreur pour leur cause, en assassinant ces innocents, et qu'on en sortira tous plus forts», a conclu le caricaturiste à The Gazette, Pascal Elie.

- Avec Véronique Lauzon