Après avoir travaillé d'arrache-pied pour prévenir la radicalisation dans les quartiers populaires de Nice, Brigitte Erbibou doit réparer les pots cassés. Les vies brisées.

Avec d'autres, la psychanalyste mène le programme de prévention de l'islamisme et de déradicalisation lancé en 2014 par le département des Alpes-Maritimes, pionnier en la matière.

Une avant-garde obligée. Le département - essentiellement Nice et sa région - « est l'un des plus impactés proportionnellement. Le département représente 10 % des départs du territoire [français vers la Syrie] », explique Mme Erbibou, soit six fois plus que son poids dans la population totale. « C'est énorme. »

Chaque semaine depuis le lancement du programme, la spécialiste ou un collègue de l'association de psychologues Entr'autre s'assoit avec la police, la justice, les autorités municipales et l'éducation nationale pour se pencher sur les signalements reçus et faire le suivi de ceux des semaines précédentes. Très concrètement : monsieur X aurait fait des commentaires violents, madame Y a subitement modifié son apparence.

À peu près une quinzaine de nouveaux dossiers chaque semaine, pas tous fondés.

En tant que spécialistes de la santé mentale, son rôle consiste à faire la lumière sur le profil psychologique des individus signalés. Psychose ? Crise d'adolescence ?

« ATTAQUER LES CERTITUDES »

Mme Erbibou est assise dans son bureau de l'avenue Jean-Jaurès ; le bel édifice ancien fait face à un parc. Une cocarde blanche « psychologue » est attachée à son élégante robe noire. Dans un coin de la pièce, un récamier couvert d'un jeté bourgogne.

Les patients en voie de radicalisation ne s'y allongent pas. « On n'est pas dans la prise en charge classique », dit-elle.

« Il faut ébranler ce qui fait certitude chez eux. On a compris qu'on ne pouvait pas opposer une idéologie à une autre idéologie. Il faut créer des brèches, attaquer les certitudes. » - Brigitte Erbibou, psychanalyste

Parfois en face à face, parfois en groupe de discussion.

« On fait des formations », notamment auprès des professeurs qui doivent pouvoir repérer les jeunes à risque, ajoute Patrick Amoyel, lui aussi psychanalyste au sein de l'association Entr'autre, en entrevue téléphonique.

Tout près du bureau, le centre municipal d'aide aux victimes, dans une rue barrée pour plus de quiétude. Depuis trois jours, il est monopolisé par les survivants de l'attentat et les familles des victimes moins chanceuses, mais est ouvert toute l'année. De grands panneaux bleus dans la ville signalent en permanence sa localisation, comme d'autres l'hôpital ou le poste de police : Nice et son département sont dirigés par des élus de « droite forte » qui font de la lutte contre le crime une priorité absolue.

Brigitte Erbibou fait la navette entre les deux bâtiments. L'urgence est à l'assistance aux victimes, la reprise des travaux de prévention de la radicalisation n'est pas pour tout de suite.

« Pour nous, c'était très important d'être sur cet événement : on ne pouvait pas travailler sur la radicalisation et ne pas être présents », relate-t-elle. « On leur montre que le drame est subjectif, mais aussi collectif », on les écoute « parler, dire et redire, pleurer, hurler s'il le faut ».

Et on tente de prévenir le prochain.

photo Eric Gaillard, reuters

Chaque semaine depuis le lancement du programme de prévention de l'islamisme et de déradicalisation, Entr’autre s’assoit avec la police, la justice, les autorités municipales et l’éducation nationale pour se pencher sur les signalements reçus et faire le suivi de ceux des semaines précédentes.