Lors de l'opération policière qui a eu lieu à Saint-Denis hier matin, une jeune femme s'est enlevé la vie en déclenchant son gilet bardé d'explosifs. Une première en France, mais qui est loin d'être une nouveauté.

Hier, la France s'est levée dans la stupeur en apprenant qu'une femme kamikaze s'est fait exploser à Saint-Denis alors que la police tentait de mettre la main sur le cerveau présumé des attentats de Paris. Expert du groupe État islamique (EI), Ariel Ahram n'a pas été surpris le moins du monde.

« C'était une question de temps avant qu'un groupe djihadiste islamiste n'utilise une femme kamikaze en Europe, dit le professeur d'affaires internationales à l'Université Virginia Tech. Au sein de ces groupes, c'est une tactique de plus en plus commune et acceptée », explique celui qui s'intéresse aux groupes extrémistes musulmans depuis les années 90.

Au cours des deux dernières décennies, note-t-il, des femmes ont perpétré des attentats suicides dans les territoires palestiniens, en Irak, en Tchétchénie et en Afghanistan. La plupart, au nom de l'islam radical. Au Nigeria, Boko Haram a déjà utilisé des femmes dans des attentats suicides, dont celui de Kano, qui a fait 15 morts hier.

Hier, les autorités françaises soupçonnaient que la kamikaze de Saint-Denis était liée au groupe État islamique, qui a revendiqué les attentats de Paris. « Al-Qaïda, l'organisation dont a émané l'État islamique, a maintes fois utilisé des femmes kamikazes », précise Ariel Ahram.

Erreur commune

Faut-il s'étonner que des organisations qui prônent le retour de la charia et relèguent les femmes à un rôle de second plan les utilisent comme armes de guerre ?

« L'utilisation des femmes kamikazes met en lumière une de nos principales erreurs de perception en Occident à l'égard des groupes djihadistes. Nous pensons qu'ils sont traditionalistes, mais ils veulent offrir une autre vision de la vie moderne basée sur une certaine interprétation de l'islam. Les femmes kamikazes font partie de ce modernisme, note l'expert.

« Elles servent notamment à dire aux hommes dans le mouvement qu'ils doivent se battre plus fort si leurs femmes doivent venir à la rescousse de la cause. »

L'expert, qui a été appelé cet été à témoigner devant le Comité des affaires étrangères du Congrès américain sur la question des femmes au sein de l'EI, soutient que leur rôle est multiple : épouses de combattants, mères de futurs djihadistes, gardiennes de l'ordre et « martyres ».

L'organisation djihadiste a notamment créé une brigade féminine au sein de ses rangs, la Brigade Al-Khansaa. Les femmes qui en font partie sont chargées de faire respecter la loi islamique sur le territoire contrôlé par l'EI en Irak et en Syrie. « Quand elles sont apparues en 2014, elles étaient armées. Elles étaient aux postes de contrôle, fouillaient les femmes. Leur militarisation a diminué depuis, mais elles restent actives. »

Au-delà des terroristes djihadistes

Dans un livre consacré aux femmes terroristes, Bombshell - Women and Terrorism (Des bombes : femmes et terrorisme), Mia Bloom affirme que l'utilisation de femmes kamikazes n'est pas l'apanage des groupes djihadistes. Les Tigres tamouls du Sri Lanka ont notamment eu recours à elles.

Un décompte a permis à Mme Bloom, aujourd'hui professeure à l'Université d'État de la Géorgie, de déterminer que 25 % des attentats suicides commis entre 1985 et 2008 ont été perpétrés par des femmes. Ces dernières, note-t-elle, font en général quatre fois plus de victimes que les hommes.

« Parce qu'elles éveillent moins les soupçons, les femmes terroristes ont plus de facilité à atteindre leurs cibles, a dit Mme Bloom à La Presse lors d'un entretien après la sortie de son livre. Elles sont devenues l'arme de choix de la guerre psychologique »

Femmes et kamikazes

La présence de femmes kamikazes au sein d'organisations perpétrant des attentats terroristes n'est pas un phénomène nouveau. Au cours des dernières décennies, elles ont frappé aux quatre coins du monde. Portrait de quatre d'entre elles.

Soha Béchara

Libanaise issue d'une famille chrétienne laïque, Soha Béchara a 21 ans quand elle essaie de tuer le général Antoine Lahd en 1988 pour protester contre l'occupation israélienne de son pays. Elle survit à l'attentat, tout comme sa cible. Elle passe ensuite 10 ans dans une prison secrète du Liban du Sud où elle sera torturée et violée. La pièce de Wajdi Mouawad Incendies est partiellement inspirée de son histoire.

Wafa Idriss

Ambulancière pour le Croissant-Rouge palestinien, Wafa Idriss a 27 ans quand, en 2002, elle se fait exploser au centre-ville de Jérusalem, tuant un homme et blessant des dizaines de personnes. Après sa mort, les Brigades des martyrs d'Al-Aqsa revendiquent son geste, à la surprise de sa famille laïque. Plusieurs leaders arabes portent la jeune femme aux nues. Le cinéaste français Patrick Chauvel lui a consacré un documentaire, essayant de comprendre son geste.

Muriel Degauque

Boulangère belge, Muriel Degauque est la première femme d'origine européenne à avoir commis un attentat-suicide au nom de l'islam radical. En 2005, dans la région de Bagdad, elle vise un convoi militaire américain en se suicidant, emportant dans la mort cinq policiers militaires irakiens. Quelques jours plus tard, son mari, qui s'apprêtait aussi à faire un attentat-suicide, est tué.

Djennet Abdourakhmanova

Jeune femme de 17 ans originaire du Daguestan, dans le Caucase russe, Djennet Abdourakhmanova s'est fait exploser dans le métro de Moscou en 2010, tuant une vingtaine de personnes. Wahhabite, comme son mari tué quelques mois plus tôt, elle faisait partie des «veuves noires» de Tchétchénie. D'autres «veuves noires» ont notamment pris en otage des centaines de personnes dans un théâtre russe en 2002.