On s'en souvient. Au lendemain du tremblement de terre dévastateur de 2010 en Haïti, Dany Laferrière, maintenant un immortel de l'Académie française, avait dit à La Presse : « Quand tout tombe, il reste la culture. » Déclaration qui avait fait le tour du monde.

Et c'est bien la culture qui fait que le monde entier vient à Paris, la destination touristique la plus populaire de la planète. Elle suinte par tous les pores de cette ville. À cela s'ajoute un art de vivre français qui fait que, peu importe la tragédie, la baguette de pain demeure chaude et les fromages, innombrables.

En fait, tous les clichés sur Paris sont redevenus, depuis le massacre du vendredi 13, des symboles de résistance, alors que bien des Parisiens, voire des visiteurs habitués, n'y voyaient jusqu'à maintenant que du « quétaine » (ici, on dirait ringard).

On mesure l'impact des attentats sur les sites touristiques les plus fréquentés. Hier, vers 16 h, à peine une centaine de personnes espérait grimper dans la tour Eiffel, bien gardée par des policiers et des militaires. « Tu me montres ta carte de presse, on ne rigole pas avec moi », dit un militaire armé jusqu'aux dents à un cameraman sur place. D'habitude, il faut s'armer de patience pour accéder à cette vue incroyable sur Paris.

Par mesure de sécurité, la tour a été fermée, ouverte, puis refermée, puis rouverte... bref, c'était compliqué. Un couple d'Américains attendait sous la pluie son « moment parisien ». Quand on leur demande pourquoi ils insistent pour entrer dans la tour Eiffel, ils nous répondent, l'air un peu gêné et déçu : « C'est notre lune de miel. » Pour l'égoportrait romantique, on repassera.

Pas de file d'attente

C'est triste à dire, mais pour éviter les queues aux plus belles expositions de Paris en ce moment, c'est la semaine. Il ne nous a fallu que deux minutes pour entrer au musée d'Orsay, malgré la fouille des sacs et le détecteur de métal.

L'expo ? Splendeurs et misères, images de la prostitution, où l'on peut voir entre autres les toiles de Toulouse-Lautrec, Van Gogh, Degas et Manet, et sentir l'esprit sulfureux de la Belle Époque, quand Paris était désignée comme la « capitale des plaisirs », image qui lui a toujours collé à la peau, même aujourd'hui.

« Habituellement, à cette heure [16 h], on est rendu à 15 000 visiteurs. Là, nous n'en sommes qu'à 2290. », dit un gardien de sécurité au musée d'Orsay, confirmant la désertion des touristes.

Selon un autre gardien, « ça va revenir dans une semaine ou deux ». Une visiteuse, Parisienne, dans la cinquantaine, nous confie qu'elle est là pour fuir un peu le tumulte et la déprime. « L'art, ça console toujours », dit-elle. Devant nous, l'Olympia de Manet, ce nu qui a fait scandale en 1863.

«C'est verni pour le Front national»

Le Louvre est vide, et c'est normal, il est fermé les mardis. Mais, même fermé, il y a normalement beaucoup de gens qui viennent photographier l'architecture magnifique de ce musée. Hier, il était désert. Le moment parfait pour un égoportrait solitaire, sans touriste dans le champ de vision. Ricky, un jeune Chinois qui regarde tout ça, étonné, nous dit que c'est sa première fois à Paris. Il est arrivé la veille des attentats. A-t-il peur ? « Non, c'est sécuritaire maintenant », dit-il, en nous pointant les six militaires armés qui traversent la cour carrée du Louvre. Il a tout de même appris que dans la firme qui l'emploie, un collègue a reçu une balle dans la jambe vendredi.

Aux bureaux de France Tourisme, en face du Louvre, deux jeunes femmes répondent aux questions des innombrables visiteurs de Paris. Elles n'ont pas encore 30 ans. « On est dans la merde, ça va continuer », dit Emeline. « Mais arrête ! », lui répond Maeli, qui admet n'avoir jamais vécu une chose pareille à Paris. « Je ne veux pas être pessimiste, mais ça va continuer, et c'est verni pour le Front national, c'est la guerre sur deux fronts maintenant », poursuit Emeline, qui songe à quitter Paris pour le Canada ou la Nouvelle-Zélande. Parce que la crise économique. Parce que le terrorisme. « La vie ne sera plus jamais pareille. »

Dans la soirée, le mot-clic #tousaubistrot lancé par un groupe de restaurateurs, inquiets de la baisse de clientèle dans les restaurants, invitait les gens à « occuper une terrasse » pour faire un pied de nez joyeux au terrorisme. Les Parisiens n'ont pas attendu cet appel pour retourner à leurs bistrots favoris, ils en ont besoin. C'est dans leur ADN. Mais pour l'instant, Paris n'est pas une fête, comme l'écrivait Hemingway. Paris est toujours en deuil.