Un édifice de brique jaune de quatre étages aux couloirs défraîchis qui ceinture une cour intérieure des plus anonymes. Un espace gazonné plus ou moins bien entretenu. Et des adolescents qui flânent un peu ici et là. C'est dans un complexe immobilier comme il y en a des centaines en banlieue parisienne qu'a grandi l'un des kamikazes du Bataclan.

Samy Amimour, 28 ans, né en France de parents algériens: un garçon «comme les autres», «tranquille», «timide», «poli» et «qui s'occupait de ses affaires», énumèrent ceux qui ont grandi avec lui. Mais un garçon qui faisait aussi l'objet d'un mandat d'arrêt international depuis un séjour illégal en Syrie l'an dernier, a révélé le parquet antiterroriste de Paris.

C'est vers 2011 que le jeune homme, alors chauffeur d'autobus pour la Régie autonome des transports parisiens, aurait commencé à se radicaliser. «Il faisait la ligne 148. On le voyait souvent», se souvient Mouzammil Mohamed, un garçon qui l'accompagnait parfois à la mosquée.

Perquisition

Le terroriste, que l'on décrit petit et trapu, s'est à l'époque mis à fréquenter une nouvelle mosquée dans un quartier voisin du sien, confie à La Presse un ami d'enfance. Une information que confirment les autorités politiques du secteur.

«Il s'est mis dans la religion. Ils lui ont bourré le crâne. Il y a des radicaux dans toutes les mosquées. Pas les prêcheurs, mais des gens qui attendent à la sortie et qui parlent d'un autre monde où il faut aller», dit l'ami, qui habite le même complexe immobilier que la famille Amimour. À la maison, Samy voulait d'ailleurs forcer sa mère et ses soeurs à porter le voile islamique.

Nous sommes à Drancy, en Seine-Saint-Denis. Au coeur du «93», comme l'appellent ses habitants, cette banlieue devenue célèbre lors des émeutes de 2005, là où Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, avait mis le feu aux poudres en lançant cette phrase assassine: «Vous en avez assez de cette bande de racailles, hein? Eh bien, on va vous en débarrasser.»

Place Marcel-Paul, où la police a perquisitionné hier matin dans le logement familial et placé en garde à vue trois personnes, dont la mère et au moins une des deux soeurs Amimour, tout le monde est stupéfait qu'un membre de la communauté fasse partie des assaillants de vendredi. On le traite de fou. De malade. On prétend ne pas le connaître. Bref, on fait tout pour s'en dissocier. Pourtant, le passé de Samy Amimour est truffé d'indices de son extrémisme. Sa mère avait maintes fois sonné l'alarme, a affirmé hier le député-maire de Drancy, Jean-Christophe Lagarde, lors d'une conférence de presse. Il connaît bien la famille. Les deux soeurs du tueur ont déjà travaillé à la mairie, l'une à l'imprimerie, l'autre à la cantine. «Cette mère de famille a vu son enfant lui échapper. Elle qui est parfaitement laïque.»

En 2012, son fils et deux autres fidèles de la même mosquée ont échafaudé un plan pour se rendre au Yémen, probablement pour rejoindre un groupe djihadiste, croit le parquet de Paris. Les autorités françaises l'ont empêché de partir à la dernière minute. Un matin d'octobre, la police a débarqué dans l'appartement du troisième étage qu'il occupait avec sa mère et ses soeurs.

«Je m'en souviens très bien. Ils ont défoncé la porte», raconte l'ami d'enfance. Les agents ont emmené Samy. Le jeune Français a été mis sous contrôle judiciaire, c'est-à-dire dire qu'il devait dorénavant respecter une série de conditions restreignant sa liberté. On a confisqué son passeport.

Au même moment, il démissionnait de son emploi de chauffeur d'autobus.

Il répétait: «Je suis fatigué de la France», nous dit son ami d'enfance.

Alors qu'il s'habillait jusque-là de façon «décontractée, toujours bien et à la mode», se souvient Anthony, un étudiant de 19 ans qui lui aussi habite place Marcel-Paul, Amimour s'est mis à porter de plus en plus régulièrement le quami, une tenue religieuse, et il s'est laissé pousser la barbe.

En 2013, il a carrément disparu. Dans la cité, la rumeur s'est mise à se répandre qu'il était parti en Syrie. Cela s'est avéré.

Un mandat d'arrêt international a été lancé à son endroit, a confirmé hier par voie de communiqué François Molins, magistrat chargé de l'enquête.

«Théoriquement, il devait être surveillé. [Il est parti] sans que personne n'ait rien fait pour l'en empêcher, rage le député-maire de Drancy. Ce garçon aurait dû être en prison. Pas en Syrie. Pas au Bataclan.»

Selon un article publié en décembre par le journal Le Monde, son père a même fait le voyage jusqu'en Syrie pour le convaincre de rentrer à la maison.

En vain.

Il a retrouvé son fils en plein coeur du fief du groupe armé État islamique. «Il était avec un autre type, qui ne nous a jamais laissés seuls. C'était des retrouvailles très froides. Il ne m'a pas emmené chez lui, ne m'a pas dit comment il s'était blessé, ni s'il combattait», a raconté Mohamed Amimour, 67 ans, au quotidien français. Samy a refusé de rentrer.

Vendredi, il s'est fait exploser dans la salle de spectacle du Bataclan avec deux compagnons après avoir criblé de balles la foule durant plus de deux heures, laissant au moins 89 morts dans son sillage.

Colère et méfiance

Dans la cour de l'immeuble où il a grandi, beaucoup sont fâchés. Bien sûr, pour tous les morts, mais aussi parce qu'encore une fois, leur banlieue aura mauvaise réputation.

«Je ne comprends pas. On n'a jamais eu de problèmes avec la religion ici. Tout le monde s'entend. On est tous différents, mais on cohabite bien», dit Thomas Benboujemaa, 17 ans.

«À cause de personnes comme lui [Samy], les gens parlent d'islam modéré et d'islam radical. Ça n'existe pas, l'islam radical. Ce n'est tout simplement pas de l'islam. C'est une secte. Un bon musulman, comme un bon chrétien, ne tue pas. Il essaie de faire le bien. Je n'ai pas de mots. Ce qui est arrivé est terrible et ça aurait pu arriver n'importe où. Il faut serrer la vis.»

Mouzammil Mohamed n'arrive pour sa part tout simplement pas à croire que Samy est mort. Il hoche la tête, l'air hébété, en cherchant le regard de ses amis.

«Il est mort? Pas arrêté? Vraiment mort?», répète l'adolescent.

CHRONOLOGIE

2011: Samy Amimour est embauché comme chauffeur de bus par la Régie autonome des transports parisiens.

2011: Le jeune homme commence à fréquenter une mosquée reconnue pour son discours radical, selon le député-maire de Drancy.

OCTOBRE 2012: La police empêche le jeune homme et deux autres fidèles de la même mosquée de partir au Yémen pour rejoindre les rangs d'un groupe djihadiste. Amimour est mis sous contrôle judiciaire. On confisque son passeport.

OCTOBRE 2012: Samy Amimour quitte son poste de chauffeur d'autobus après un passage de 15 mois. Il dit être «fatigué de la France».

SEPTEMBRE 2013: L'homme part pour la Syrie, qu'il gagne vraisemblablement par la Turquie. Il aurait rejoint le groupe armé État islamique. La France lance un mandat d'arrêt international.

JUIN 2014: Mohamed Amimour, père de Samy, rejoint son fils en Syrie dans l'espoir de le convaincre de rentrer en France. Il rentre bredouille.

 

NOVEMBRE 2015: Samy Amimour participe à l'attentat du Bataclan. Il meurt dans l'explosion de sa veste explosive.