Ils sont sortis de partout: avec des armes lourdes, des chiens, un blindé, en uniforme ou en simples blousons de cuir, leurs visages cachés sous des cagoules. La Presse a assisté lundi à un assaut des forces spéciales de la police belge dans la «base arrière du djihadisme européen». Un assaut mené alors que certains réfléchissent en parallèle à une réponse sociale pour contrer la radicalisation des jeunes du coin.

Le gouvernement belge avait promis d'accentuer la «répression» pour «reprendre le contrôle» de la commune bruxelloise de Molenbeek, qui a abrité au fil des ans les auteurs d'une longue série d'attentats meurtriers.

Lundi, les policiers ont fondu sur un modeste immeuble de l'endroit, espérant y trouver Salah Abdeslam, le présumé terroriste survivant de l'attaque de vendredi dernier à Paris, activement recherché et qualifié «d'ennemi public numéro 1» en Belgique.

En un clin d'oeil, un grand périmètre a été bouclé par les forces d'intervention armées jusqu'aux dents qui montaient la garde, le doigt près de la détente. Les aboiements féroces des chiens policiers suffisaient à éloigner les curieux plus récalcitrants. «Rentrez, ou sortez, mais vous ne pouvez pas rester là!», hurlaient les agents dès qu'un résidant pointait le nez dehors.

Démineurs et pompiers

Un agent a lancé une sommation dans un mégaphone et ordonné à quelqu'un de sortir, pendant que ses confrères envahissaient les toits, les ruelles, les cours, mitraillette à la main. Porte et fenêtres de la maison ciblée ont été fracassées, selon ce qu'il a été possible d'observer après coup. Une équipe de démineurs en combinaison spéciale antibombes a aussi inspecté l'immeuble, pendant que des pompiers installaient leurs lances à incendie, prêts à intervenir.

Salah Abdeslam n'était pas là. Deux Belges inculpés pour infractions terroristes à Bruxelles l'auraient peut-être aidé à fuir Paris après le carnage, rapportaient les médias locaux lundi. La police n'a pas précisé pourquoi elle avait ciblé ce logement. Des résidants de l'endroit ont été tenus à l'écart de chez eux toute la journée. La plupart se montraient compréhensifs.

«On comprend. Ce qui est arrivé à Paris, ça pourrait nous arriver à nous», a commenté l'un d'eux.

Pas question de donner son nom, dit-il toutefois. L'ombre des adeptes du groupe État islamique n'est jamais bien loin à Molenbeek. «S'ils voient que j'ai dit deux mots dans les médias, ils peuvent venir me faire du souci. J'ai des enfants», dit-il.

Le député local Ahmed El Khannouss a accueilli favorablement l'arrivée massive des policiers. «Ça démontre la détermination de la police pour mettre fin à cette affaire. Je ne me sens pas bien avec l'image négative donnée à notre communauté, qui n'aspire qu'à la tranquillité», a-t-il expliqué.

Le frère du fugitif s'exprime

Mohamed Abdeslam, lui, n'est pas près de la retrouver, la tranquillité. Le père de deux enfants, employé de la commune, a été arrêté samedi après-midi. Placé en détention, il a appris de la bouche de son avocate que son frère aîné Brahim, 36 ans, faisait partie des kamikazes qui se sont fait sauter à Paris, alors que son frère cadet, Salah, était en fuite et soupçonné d'avoir participé à l'attaque.

Il a été relâché puisqu'aucune preuve ne le reliait à l'action de ses deux frères.

«Moi et ma famille, nous sommes touchés par ce qui s'est passé. Nous avons appris cela par la télévision, comme beaucoup d'entre vous, et nous ne pensions à aucun moment que l'un de mes frères était lié à cet attentat. Nos pensées vont vers les victimes», a-t-il déclaré aux caméras de télévision qui faisaient le pied de grue devant le logement familial.

Il a dit ne rien avoir vu venir et ignorer où se trouve son frère. «C'est un garçon tout à fait normal. Nous sommes une famille ouverte», a-t-il assuré avec aplomb.

«Il est effondré», a confié à La Presse son avocate, Me Nathalie Gallant, après avoir fait ses représentations dans un palais de justice sous haute surveillance, avec militaires à l'extérieur, policiers à la porte et double fouille pour ceux qui voulaient avoir accès à la salle d'audience.

L'avocate souligne elle aussi que la famille n'est pas fondamentaliste. Son client caressait le projet d'ouvrir un bar. Comment ses frères ont-ils pu devenir si radicaux?

«Je dirais que ça fait partie du problème: ces radicaux, qui souvent se radicalisent en prison, proviennent de milieux pas du tout intégristes», affirme la criminaliste, qui a défendu de nombreux suspects de terrorisme par le passé.

L'éducation pour prévenir

Plusieurs réfléchissent maintenant au moyen de lutter contre cette radicalisation.

Pour Christophe Pourtois, vice-président du Centre public d'aide sociale à Molenbeek, c'est l'éducation qui est la clé, encore plus que la lutte contre la pauvreté.

«Il y a des plus pauvres que les pauvres. Je vois dans mon travail des jeunes de 23 ans qui veulent faire une formation pour trouver un emploi, mais ne savent pas s'exprimer correctement en français. Notre système d'éducation est parfois laxiste, il n'aide pas les gens comme il le devrait. Beaucoup de gens dans mes prestataires peuvent être victimes de tentatives de radicalisation. Certains sont partis en Syrie», dit-il tristement.

Mais les groupes communautaires et services sociaux ont parfois du mal à rejoindre les jeunes radicalisés, constate Christian Ledocq, qui travaille dans une association d'éducation permanente à Molenbeek. «Un des problèmes est qu'on ne les croise pas, ils ne nous interpellent pas, ils ne sont pas en demande de quelque chose», souligne-t-il.