Q Pourquoi ce livre?

R Pour répondre à une question: comment les mineurs ont-ils formé un monde souterrain pendant les 17 premiers jours, alors qu'ils n'avaient ni nourriture ni contact avec le monde extérieur? Comment ont-ils pu survivre? Ma première motivation était de comprendre leur survie et leur monde.

Q En quoi l'expérience des 33 prisonniers de la mine est-elle exceptionnelle et fascinante?

R On peut concevoir que des gens restent pris en mer ou en montagne. Mais ĂŞtre prisonnier d'une mine est le cauchemar total. Il fait chaud. Il fait noir. Autour, la montagne s'Ă©croule. On ne voit pas le ciel, on ne respire pas d'air frais.

Q Après l'éboulement, quels ont été les premiers réflexes des mineurs?

R Il leur a fallu au moins 24 heures pour s'organiser. Ils ont rapidement réalisé qu'ils ne pouvaient survivre que s'ils étaient unis. La première chose qu'ils ont faite a été de dresser des plans du souterrain et de diviser la nourriture. Heureusement, ils avaient beaucoup d'eau, car l'eau est indispensable pour le travail dans les mines. Même sans nourriture, ils ont pu boire beaucoup d'eau. C'est vraiment ce qui a fait toute la différence. Sans eau, on ne survit pas plus de cinq ou six jours. Ils avaient aussi du mazout et ont pu faire fonctionner une génératrice.

Q Après 17 jours, une sonde les a rejoints. Comment leur découverte a-t-elle perturbé les mineurs?

R Pendant 17 jours, ils avaient été unis dans leur isolement et avaient partagé quelque chose de très spirituel. Une fois établi le contact avec le monde extérieur, les problèmes ont commencé: il y a eu des disputes à cause de la télé, de la nourriture, de leur place dans le groupe. On aurait pu croire que les choses se seraient mieux passées une fois que les sauveteurs auraient établi le contact. Certains mineurs ont été plus heureux pendant les 17 premiers jours qu'après.

Q Vous faites souvent référence à la religion dans votre livre. Comment la foi a-t-elle aidé les mineurs?

R Les mineurs ne partageaient même pas tous la même religion, mais l'idée qu'ils partageaient la foi les a unis. Avoir un service religieux chaque jour leur a permis de rester sur la même longueur d'onde. C'était très important.

Q Malgré tout, comme vous le révélez, le spectre du cannibalisme les a hantés.

R Évidemment, pendant 17 jours, ils avaient peu de nourriture et mouraient de faim peu à peu. Il fallait donc qu'ils trouvent des moyens de survivre. En voyant leurs amis en train de mourir, ils se disaient «On a deux options: faire une cérémonie et l'enterrer, ou le cuisiner et le manger.» C'était tellement effrayant qu'ils n'en parlaient pas ouvertement entre eux, mais ils évoquaient cette possibilité en petits groupes. Tout le monde était inquiet, certains faisaient des cauchemars. Ce n'est qu'après le 17e jour qu'ils ont pu faire des blagues là-dessus. Avant d'avoir de la nourriture, ils n'auraient jamais osé. Un des mineurs m'a confié avoir été tellement hanté par l'idée d'être mangé par ses pairs qu'il en avait perdu le sommeil.

Q Comment expliquez-vous que le monde entier se soit passionné pour le sort des 33 mineurs?

R Quand on voit des manifestations en Égypte ou en Libye, on ne s'identifie pas à ce qui se passe, c'est un monde qui nous est étranger. Alors que l'histoire des mineurs va directement au coeur.

Q Six mois après leur sauvetage, comment les mineurs et leurs familles gèrent-ils leur célébrité soudaine?

R Pas très bien. C'est très difficile, car ils vivent des expériences très contrastées. Ils peuvent être un jour dans un cinq-étoiles en Israël, le lendemain au milieu de nulle part. Ils ne travaillent plus, certains voyagent ou traînent autour de chez eux. Au Chili, ils sont vus comme des vedettes et des héros. Pourtant, ils n'aiment pas ça. Ils répètent qu'ils ne sont pas des héros, mais qu'ils ont d'abord et avant tout été victimes d'un accident. Les mineurs ont tous eu une vie très difficile. Travailler dans une mine, n'importe où dans le monde, c'est dur. La vie des mineurs n'a jamais été facile et, quelles que soient les bonnes choses qui leur arrivent en ce moment, ils les méritent pleinement.

Jonathan Franklin, Enterrés vivants - la véritable histoire des 33 mineurs chiliens, Éditions Robert Laffont.

Photo: fournie par les Éditions Robert Laffont

Jonathan Franklin