Si tout se passe comme prévu, le sauvetage des mineurs chiliens commencera dans la nuit de mercredi. Coincés sous terre depuis deux mois, ils ont réussi à s'organiser pour survivre. Retour sur une épopée.

«Ici le contremaître. À vous.»

La ligne est mauvaise. La voix de Luis Urzua semble surgir d'outre-tombe. Elle n'en est pas loin. Pour la première fois, les 33 mineurs coincés depuis près de trois semaines sous des tonnes de roches entrent en contact avec le monde extérieur. En ce lundi 23 août, des cris de joie retentissent au coeur du désert d'Atacama.

Les médecins s'attendaient à trouver des hommes faibles, désorientés. Mais la voix de Luis Urzua est calme. L'homme de 54 ans, chef désigné des mineurs piégés sous les gravats, a la situation bien en main. Dès le départ, il a imposé à ses hommes une discipline militaire. Il a organisé leur existence souterraine dans ses moindres détails.

Mais ça, le ministre chilien des Mines, Laurence Golborne, l'ignore. «Comment allez-vous?» demande-t-il anxieusement au chef des mineurs. «Nous allons bien. Nous attendons d'être sauvés.»

Les kamikazes

Ils étaient descendus dans la mine d'or et de cuivre San José conscients des risques du métier. Ils savaient que la mine était particulièrement dangereuse: dans cette région du nord du Chili, les habitants appellent les mineurs qui s'y risquent «les kamikazes».

Mais ils ne pouvaient pas se douter que leur quart de travail serait aussi long.

Le mardi 5 août, l'éboulement ne leur laisse aucune chance. Luis Urzua comprend vite qu'ils sont coincés à 700 m sous terre, condamnés à errer dans les méandres et la chaleur humide d'un tunnel long de 2 km.

Sans tarder, le contremaître regroupe les hommes dans un abri d'environ 35 m2. Inspecte les lieux. Divise les tâches. Et rationne la nourriture. Radicalement. Pendant ces premiers jours d'angoisse, chaque mineur n'a droit qu'à deux cuillerées de thon et à un demi-verre de lait aux 48 heures.

À la surface, les sauveteurs ont presque abandonné l'espoir de retrouver les mineurs vivants. Jusqu'au miracle, le 22 août. Dix-sept jours après l'éboulement, une sonde souterraine localise les 33 mineurs. En vie.

Et puis, le lendemain soir, ce premier contact radio.

«Nous n'avons pas beaucoup mangé récemment», souligne Luis Urzua au ministre des Mines.

C'est un euphémisme. Les boîtes de thon sont vides. Depuis deux jours, les mineurs n'ont plus rien à se mettre sous la dent. Leur santé décline. Mais le strict rationnement de Luis Urzua leur a probablement sauvé la vie.

Téléréalité

L'espoir renaît. L'histoire a suscité la fascination. Plus de 700 journalistes plantent leurs antennes satellitaires en plein désert et agitent leurs micros sous le nez des familles, secouristes, psychologues et autres experts. Rapidement, le drame des 33 mineurs devient le spectacle de téléréalité le plus populaire de la planète.

Les cadeaux affluent. Le pape Benoît XVI envoie des chapelets. Le Real Madrid, des chandails de soccer signés par ses vedettes. Au Chili, ils sont des héros nationaux. On connaît chacun d'entre eux par son nom. On leur consacre des pages Facebook. On parle déjà des livres et des films qui relateront leur incroyable histoire.

Les premières images des mineurs, diffusées le 26 août, donnent froid dans le dos. Ils sont blafards, maigres, sales et épuisés. Ils savent depuis la veille qu'il leur faudra patienter longtemps, peut-être jusqu'à Noël, avant d'être secourus. Jamais des mineurs n'auront passé autant de jours sous terre.

Le 30 août, une excavatrice de 40 tonnes s'attaque à la roche. Il faudra des semaines avant que le puits de secours n'atteigne les mineurs. Pendant ce temps, les ingénieurs chiliens se demandent comment les ravitailler par un trou dont le diamètre dépasse à peine la taille d'un pamplemousse. Le défi logistique est titanesque. Des scientifiques de la NASA sont appelés en renfort.

L'équipe de soutien compte plus de 300 personnes: ingénieurs, psychologues, nutritionnistes, policiers, techniciens de laboratoire. Au total, 10 professionnels par mineur. L'opération de sauvetage coûtera des millions de dollars.

Le 1er septembre, les mineurs reçoivent par le «pigeon voyageur», ce tube de ravitaillement de 12 cm de diamètre, leur premier repas chaud: du riz et des boulettes de viande. La livraison prend une heure et demie. Peu à peu, les mineurs retrouveront leur poids normal.

Vie souterraine

Les mineurs n'ont plus à se préoccuper de leur survie. Sous terre, la routine s'installe. La journée commence à 7h30, quand on allume un éclairage de fortune. La faible lumière donne un semblant de jour aux mineurs.

À 8h30, le déjeuner commence à arriver. Trois mineurs ont la tâche de recevoir les pigeons voyageurs et d'en déballer le contenu: nourriture, bouteilles d'eau, médicaments, lettres.

La vie sous terre est hyper-organisée. Après le déjeuner, les mineurs nettoient le refuge. Ils se douchent sous une chute d'eau naturelle. Ils ont un coin toilettes, un coin poubelle, même un coin recyclage pour les déchets de plastique!

Chaque mineur a un rôle. Le plus jeune, Jimmy Sanchez, 19 ans, est responsable de la qualité de l'air. Il mesure chaque jour le taux d'oxygène et de CO2 ainsi que la température, en moyenne de 31 °C.

Des mineurs patrouillent le tunnel, à l'affût de tout signe d'un nouvel éboulement. D'autres sont chargés de nettoyer les débris provoqués par le forage du puits de secours: 500 kg de roches et de boue tombent chaque jour dans le refuge des 33.

Un mineur s'improvise prêtre. Un autre est biographe: il note les moindres événements de la journée. Il y a même un poète officiel!

Johnny Barrios est le docteur. Lui qui avait un jour rêvé de faire sa médecine ne s'était sans doute jamais imaginé qu'il la pratiquerait, sans véritable formation, dans des circonstances aussi difficiles. Son rôle est crucial: il arrache des dents, traite des infections, vaccine contre la diphtérie, le tétanos et la pneumonie.

Après le dîner, les mineurs prient. Ensuite, ils écrivent des lettres, qui arrivent à la surface tachées de boue. D'autres lisent en fumant les cigarettes qu'ils ont enfin réussi à obtenir, après des semaines de supplications auprès des autorités...

Si près, si loin

Dès le premier jour, les familles des mineurs plantent leurs tentes dans le désert d'Atacama. Elles ne perdent pas espoir, même quand les autorités annoncent que les chances de retrouver leurs père, frère ou fils sont «faibles». Ensemble, elles partagent l'angoisse, puis, après 17 jours sans nouvelles des mineurs, l'allégresse de les savoir encore vivants.

Et puis commence l'attente.

Ainsi, le camp Espoir prend forme, chaque jour un peu mieux organisé, village de toile dans un paysage lunaire.

Au coeur du désert le plus aride du monde, des enfants jouent aux billes et courent dans la poussière. On leur fait la classe sous une tente. Des clowns trompent leur ennui. Des policiers leur font faire des balades à cheval.

Des drames se jouent. D'amères disputes éclatent dans des familles. Des maîtresses se rendent au camp pour attendre des mineurs aux côtés des épouses légitimes. Angoissées, elles aussi. Et attirées, peut-être, par les généreuses promesses d'indemnisation du gouvernement chilien.

Mais il y a aussi de belles histoires. Du fond de la mine, deux hommes demandent leur compagne en mariage. Des couples mariés depuis des décennies recommencent à s'envoyer des lettres d'amour. Le mineur Ariel Ticona vit la naissance de sa fille en différé, grâce à un enregistrement vidéo envoyé au fond de sa prison de roche. Sa femme a prénommé le bébé Esperanza. Espoir.

- Avec AFP, BBC, The Guardian