Le mardi 11 septembre 2001, lorsque deux avions ont foncé dans les tours jumelles du World Trade Center à New York, le Québec était sous le choc d'une nouvelle annoncée cinq jours plus tôt: le capitaine du Canadien, Saku Koivu, souffrait d'une forme agressive de cancer.

Devant l'ampleur de cette attaque terroriste, qui a du coup redéfini notre monde, le sort de Koivu, à l'image des autres informations meublant notre quotidien, fut relégué loin, très loin, à l'arrière-plan de l'actualité.

Le milieu du sport professionnel, historiquement imperméable aux grands événements contemporains, n'échappa pas aux conséquences de cette journée funeste. L'interdiction des vols commerciaux décrétée aux États-Unis stoppa net ses activités.

La direction de la NFL annonça rapidement la remise des matchs prévus le dimanche suivant. Pas question pour le commissaire Paul Tagliabue de répéter l'erreur de son célèbre prédécesseur, Pete Rozelle. En 1963, dans la foulée de l'assassinat de John F. Kennedy, Rozelle n'avait pas suspendu les activités de son circuit, une décision qu'on lui reprocherait vivement et qu'il qualifierait lui-même, des années plus tard, «d'erreur grave». Les matchs disputés ce jour-là se déroulèrent dans une ambiance lugubre.

Rozelle, qui avait consulté le secrétaire de presse de la Maison-Blanche et quelques propriétaires d'équipe, s'était sûrement inspiré d'un précédent historique. Après l'attaque de Pearl Harbor le 7 décembre 1941 et l'entrée des États-Unis dans la Deuxième Guerre mondiale, le commissaire du baseball, Kenesaw Mountain Landis, avait demandé conseil au président du pays: était-il souhaitable que la saison 1942 des ligues majeures soit présentée? Oui, avait répondu Franklin Delano Roosevelt, estimant que les gens avaient besoin de distraction.

Tagliabue, qui exerçait une énorme influence sur tous les dirigeants sportifs au début des années 2000, comprit vite que le football et les autres disciplines pourraient servir de soupape à des millions d'Américains. Le caractère rassembleur du sport leur fournirait une occasion extraordinaire de démontrer résolution et patriotisme. Mais chaque chose en son temps, nuança Tagliabue. Avant de rouvrir les stades, un peu de recul était nécessaire.

La semaine suivante, les compétitions reprirent. Le sport et les athlètes se présentèrent alors sous leur plus beau jour. Dans des stades bondés, l'interprétation de l'hymne national prit une signification particulière, comme une communion réunissant des Américains de toutes origines et de toutes conditions.

Le moment le plus fort survint sept semaines plus tard, alors que les bombardements américains sur l'Afghanistan avaient commencé. George W. Bush, dont la popularité atteignait alors des sommets, lança la première balle avant le troisième match de la Série mondiale de baseball, disputé au Yankee Stadium de New York.

Bush avait eu la merveilleuse idée d'enfiler un coupe-vent à l'effigie du Service des incendies de New York, dont les membres avaient montré un courage extraordinaire lors de l'écrasement des deux tours.

Brandissant le pouce pour marquer la détermination du peuple américain, Bush reçut une ovation monstre. Sur le plan du symbolisme, ce fut un des moments les plus forts et les plus réussis de sa présidence. Ce soir-là, le peuple américain était uni derrière son président.

Mais bientôt, les choses se mettraient à déraper. Et le mélange sport-patriotisme prendrait une tournure tragique.

Pat Tillman était un des joueurs les plus durs de la NFL lorsque les événements du 11-Septembre se produisirent. Demi de sûreté des Cardinals de l'Arizona, il incarnait la puissance physique et la détermination sur le terrain. Sa soif de connaissances et son intérêt pour les gens en faisaient aussi un homme très populaire.

Avant la saison 2002, Tillman refusa un contrat de trois saisons, d'une valeur de 3,6 millions, des Cardinals. Il annonça sa décision d'intégrer l'armée américaine.

Dans un remarquable article de Sports Illustrated publié en septembre 2006, on apprend que les motivations de Tillman étaient très nuancées. Son esprit n'était pas celui d'un va-t-en-guerre. La tragédie du 11 septembre 2001 l'avait certes interpellé, mais cela ne l'empêchait pas d'estimer illégale l'intervention américaine en Irak lancée en mars 2003.

Tillman croyait que ce n'était pas seulement aux jeunes des classes défavorisées de servir sous le drapeau. Il était aussi ému par les sacrifices de membres de sa famille durant la Deuxième Guerre mondiale et la guerre de Corée.

Après avoir été initialement déployé en Irak, Tillman fut rapatrié aux États-Unis et compléta sa formation au sein d'une unité d'élite, les Rangers. À la fin de cet exigeant entraînement, dont l'épreuve finale consistait en 10 jours d'enfer dans les marais de la Floride, près de la moitié des candidats étaient recalés. Pat Tillman ne fut pas de ceux-là. Son frère Kevin et lui devinrent des Rangers. Leur unité fut expédiée en Afghanistan au printemps 2004.

Le 22 avril, une mission tourna mal et la section se divisa en deux groupes pour échapper à l'ennemi. Cette décision risquée fut prise par des commandants demeurés à la base et transmise par radio. Dans une ambiance tendue, des rafales furent échangées. Tillman mourut d'une balle à la tête.

La nouvelle fit le tour de l'Amérique. Un héros du football tué dans le désert afghan en défense de la liberté! Pour l'armée américaine, le symbole était puissant et lançait un message fort à tous les jeunes du pays, dans une période où le recrutement constituait une priorité.

Est-ce pour cette raison que les autorités militaires omirent un élément fondamental en annonçant sa mort? Est-ce pour cela qu'ils restèrent silencieux sur les véritables circonstances de l'épisode en lui accordant, à titre posthume, une promotion et une médaille de bravoure peu avant ses funérailles?

La vérité était en effet moins glorieuse. Tillman fut abattu par ses propres camarades. Au milieu du cafouillage, de la nervosité et de la peur régnant sur le terrain, le groupe de Tillman, sans doute parce qu'il était accompagné d'un soldat afghan, fut confondu avec l'ennemi.

Plusieurs soldats américains le réalisèrent sur le coup. Ils comprirent que Tillman n'avait pas été tué par les talibans, mais plutôt victime d'une épouvantable bavure. Leurs commandants leur imposèrent le silence.

Un mois après la mort de Tillman, l'armée américaine avoua à sa famille qu'il avait été touché par un tir fratricide. Cette révélation secoua les Américains.

«L'armée a voulu faire de Tillman un «poster boy», un nouveau héros, soutient Donald Cuccioletta, chercheur à la Chaire Raoul-Dandurand, de l'UQAM. Depuis la guerre du Viêtnam, elle a compris que la propagande était nécessaire pour la soutenir dans son action. Mais lorsque la vérité a été connue dans l'affaire Tillman, cela a ajouté aux hésitations du peuple américain sur l'utilité des interventions en Irak et en Afghanistan.»

Dix ans après les événements du 11 septembre 2001, le sport professionnel n'a toujours pas rompu avec ce goût de servir de haut-parleur au patriotisme américain.

De tous les sports, le football demeure celui exploitant le plus ses liens avec l'armée. Comme le remarque M. Cuccioletta, le vocabulaire est semblable, des blitz à l'attaque aérienne. «Au niveau de l'imaginaire américain, le football est devenu le porteur de cet esprit guerrier», ajoute-t-il.

Le baseball n'est pas en reste. Aux matchs des Yankees à New York, le traditionnel refrain Take Me Out to the Ball Game de la septième manche est précédé depuis 10 ans par le chant God Bless America. Et les hommages aux forces armées sont nombreux dans tous les stades. Les Padres de San Diego endossent même à l'occasion des uniformes inspirés de ceux des soldats.

Le 1er mai dernier, à l'annonce de la mort d'Oussama ben Laden, les partisans des Phillies de Philadelphie ont spontanément scandé «U-S-A, U-S-A». L'occasion aurait été belle de conclure ainsi le cycle associant si étroitement sport professionnel et forces militaires, une tendance de fond depuis le 11 septembre 2001.

Cela ne semble cependant pas dans les cartes.

Sources: Sports Illustrated, The New York Times, The Washington Post, Academy of Achievement, ESPN.