Les attentats du 11 septembre 2001 ont non seulement marqué les esprits, mais aussi la littérature et les arts des 10 dernières années. Découvrez Annie Dulong, la spécialiste québécoise de l'imaginaire du 11-Septembre, qui publie son premier roman intitulé Onze et qui nous explique les enjeux auxquels font face les écrivains qui osent s'aventurer dans les tours en flammes du World Trade Center.

Il y a 10 ans, en regardant comme tout le monde les tours du World Trade Center s'effondrer en direct à la télé, Annie Dulong ne se doutait pas que cet événement allait devenir son sujet d'étude, et encore moins la matière de son premier roman, Onze, publié à l'Hexagone.

Munie de sa bourse post-doctorale, elle partage aujourd'hui sa vie entre Montréal et New York où elle est stagiaire au Eugene Lang College, après avoir été la coordonnatrice du projet Lower Manhattan du centre FIGURA de l'UQAM. Elle a lu des centaines de romans qui abordent de près ou de loin cette date fatidique et se questionne inlassablement sur les enjeux littéraires et artistiques du sujet. « Je vais probablement devenir la cinglée du 11-Septembre. C'est bien parti pour ça, mais c'est correct, dit-elle en riant. Je n'ai pas atteint le point de saturation. C'est un sujet tellement riche, je n'en vois pas la fin. «

Un peu comme ces maniaques de la Seconde Guerre mondiale qui scrutent avidement les archives, Annie Dulong est à l'affût de tout ce qui s'écrit sur le 11-Septembre, à cette différence notable qu'il s'agit d'un événement vécu à l'ère de l'internet et des réseaux de télé en continu. Ce qui l'intéresse vraiment n'est pas tant les faits - qu'elle connaît sur le bout des doigts - que la façon dont on présente ces faits. Et comment, forcément, on les transpose et les transforme. Parce que très rapidement, au fond, le 11 septembre 2001 est devenu une fiction, la réalité brute de cette tragédie étant le Ground Zero de notre imaginaire sur lequel s'est construit le récit de cette journée. Un récit d'abord écrit par les médias. «C'est une histoire qui dure 102 minutes, note Annie Dulong. C'est le temps d'un blockbuster américain et c'est structuré comme un blockbuster! Le premier avion qui attire les regards, le deuxième avion qui vient déterminer ce qu'on pense du premier, le Pentagone, la première tour, le vol 93, la deuxième tour... C'est une intrigue avec des moments clés. «

Comment alors écrire une fiction de l'événement dont la structure narrative a déjà été fixée par les médias? «Je m'intéresse à ce que les romans font du 11-Septembre et particulièrement certaines photos et images médiatisées qui se retrouvent dans les romans, explique Annie Dulong. Car certaines images reviennent. L'homme qui tombe, ce couple qui saute en se tenant par la main, ça revient partout. Puisqu'on est bombardé d'images, comment réussit-on à se créer un espace dans ces images-là?»

Exploration, exploitation

Le dixième anniversaire du 11-Septembre fait d'Annie Dulong une fille passablement occupée, entre la promotion de son roman et les exigences de ses recherches, dont l'un des volets importants pour elle est les commémorations. «Il y a une série d'événements qui vont se produire pendant un mois, ce qui me permet de voir comment l'événement est cristallisé, ce qu'on a choisi de retenir, ce qu'on a choisi d'écarter. Les luttes de pouvoir autour du site du WTC sont fascinantes et désespérantes en même temps. Elles sont très fortes entre les organisateurs et les familles des victimes. «

Parce que chacun tient à son histoire, pour ne pas dire à sa fiction. Impossible de faire l'unanimité dans les circonstances. Et, enfin, quelle est la frontière entre l'exploration et l'exploitation? Voilà un enjeu majeur pour les écrivains qui abordent le sujet du 11-Septembre, enjeu qu'Annie Dulong a pris à bras-le-corps en écrivant une fiction qui se déroule à l'intérieur des tours du World Trade Center, du point de vue de divers personnages fictifs... qui auraient pu exister. « Comment faire pour écrire une fiction tout en étant le plus juste possible? Pour moi, le défi était de faire en sorte qu'on puisse attaquer le roman sur tout sauf sur les faits. «

On se rend compte que ce qu'Annie Dulong a voulu explorer n'est pas tant l'horrible réalité des victimes que les embûches rencontrées par les écrivains qui s'attaquent à ce sujet. Une fiction à l'intérieur des tours pour mieux cerner de l'intérieur les défis littéraires d'un tel thème, moins abordé qu'on ne le pense par les écrivains, surtout les écrivains québécois. « Dans beaucoup de romans, on fait des détours, on passe par un événement personnel ou par d'autres événements historiques pour parler du 11-Septembre. Comme si on avait besoin de comparer, de replacer en contexte, ou de ramener le tout à quelque chose qu'on comprend. « Peut-être même, de confirmer hors de tout doute le caractère historique de l'événement. « Il y a des gens qui vont jusqu'à comparer le 11-Septembre à la Shoah, ce qui ne tient absolument pas la route «, souligne Annie Dulong.

C'est l'autre problème des fictions du 11-Septembre : les sensibilités sont toujours exacerbées, le temps n'a pas encore pansé les plaies, il y a beaucoup d'autocensure sur le sujet, et beaucoup de sacralisation qui impose le silence. « Comment parler des gens qui étaient là sans les sanctifier? Si on valorise les gens seulement par leur mort, comme s'ils étaient parfaits, on fait la même chose que les kamikazes qui se définissent par leur mort. C'est vraiment difficile et c'est pourquoi je voulais que mes personnages soient humains, imparfaits, complexes. Toutes les archives n'ont pas été dévoilées au public. Des films ont été tournés et des photographies ont été prises par des gens qui étaient sur place et qui sont d'ailleurs incapables d'en parler. Je pense qu'il y a des choses qu'on va voir dans les prochaines années pour lesquelles les gens ne sont pas prêts. «

Pendant ce temps-là, le roman du 11 septembre 2001 continue de s'écrire, dans les fissures, les absences et les ombres de l'histoire officielle.

Le palmarès des fictions du 11-Septembre d'Annie Dulong

- Falling Man, Don DeLillo

- The Writing on the Wall, Lynne Sharon Schwartz

- A Day at the Beach, Helen Schulman

- Days of Awe, Hugh Nissenson

- The Year That Follows, Scott Lasser

DEUX NOUVELLES

- The Things They Left Behind, dans After the Sunset, de Stephen King

- The Mutants, dans I Am No One You Know, Joyce Carol Oates

VIES INTERROMPUES

Ce sont des gens ordinaires, absorbés par les joies et les peines de leurs vies, qui ne se doutent pas que leur trajectoire sera brutalement interrompue par une catastrophe inimaginable.

C'est bien cela qui est terrible dans le roman d'Annie Dulong, cette impression de découvrir des personnages qui se croient en plein milieu de parcours, mais qui en sont à la fin ou au début, s'ils survivent. Un homme a déjeuné avec son frère, un couple est sur le point de se former après avoir fait l'amour, un mari s'apprête à quitter sa femme, une employée a remis sa démission et planifié soigneusement son suicide, une mère a embrassé ses enfants, un père qui n'aime personne, pas même ses fils, est allé au boulot comme tous les autres jours gris de son existence... Ils se croiseront tous au World Trade Center et feront face à l'horreur.

Ensuite, la parole appartient aux survivants et aux endeuillés, qui repasseront en boucle les sinistres minutes qui ont transformé à jamais leur existence.

Onze d'Annie Dulong, L'Hexagone, 146 pages.

LE COLLECTIF

LE 11-SEPTEMBRE PAR LES ÉCRIVAINS QUÉBÉCOIS

Des poètes et des essayistes ont publié des collectifs sur le 11-Septembre, mais rien n'avait vraiment été fait par les écrivains québécois. C'est pourquoi Annie Dulong a dirigé, avec Alice van der Klei, ce numéro spécial de la revue Moebius, dans lequel on peut lire les textes de Jean-François Chassay, Martine Delvaux, Jean-Simon DesRochers, Bertrand Gervais, Madeleine Monette et Caroline Montpetit, entre autres. Aucune contrainte n'a été imposée aux écrivains sauf celle du thème. Une façon de découvrir comment s'est développé cet événement dans l'imaginaire des écrivains d'ici, 10 ans plus tard.

Réinventer le 11 septembre, revue Moebius, 12$

COLLOQUE

Les 7 et 8 octobre prochains à l'UQAM aura lieu le colloque «L'imaginaire du 11 septembre 2001: de la fictionnalisation à la mythification» à la salle D-R200. Une vingtaine de chercheurs et de spécialistes y participeront, venant de l'Europe, des États-Unis et du Québec. Le colloque est ouvert au public.

DES FILMS ET DES LIVRES SUR LE 11-SEPTEMBRE

Cinéma



-FLIGHT 93 de Paul Greengrass (2006)

D'une sobriété exemplaire, ce film est une reconstitution saisissante de ce qui s'est produit dans le vol 93, celui dans lequel les passagers ont tenté de reprendre les commandes de l'avion détourné par les terroristes, et qui s'est écrasé en Pennsylvanie.

-FAHRENHEIT 9/11 de Michael Moore (2004)

Ce documentaire du controversé pamphlétaire a relancé à lui seul le genre en salle c'est d'ailleurs le premier documentaire de l'histoire à avoir occupé le haut du box-office. Après son «shame on you M. Bush» aux Oscars, le but avoué de Michael Moore était d'empêcher la réélection de George W. Bush en vain. Mais Palme d'or «politique» à Cannes...

-WORLD TRADE CENTER d'Oliver Stone (2006)

L'histoire de deux policiers de New York coincés sous les décombres du WTC. Une vision très hollywoodienne des héros du 11-Septembre. Le premier film de fiction américain à avoir recréé la destruction des tours.

-9/11 de Jules et Gédéon Naudet (2002)

Les deux documentaristes français étaient en tournage d'un documentaire sur les pompiers de New York lorsqu'ils ont été plongés au coeur du chaos. Par un hasard incroyable, ils sont les seuls à avoir filmé le premier avion à frapper la première tour. C'est aussi le seul documentaire qui montre les événements de l'intérieur du World Trade Center..

-LOOSE CHANGE de Dylan Avery (2005)

Premier blockbuster du web, il s'agit ici de la «mère» de toutes les théories du complot autour du 11-Septembre.

Littérature

-Windows on the World de Frédéric Beigbeder (2003)

Pour Beigbeder, la meilleure façon de savoir ce qui s'est passé le 11 septembre 2001 au World Trade Center, «c'est de l'inventer». La catastrophe est racontée du point de vue d'un père et de ses deux fils qui déjeunent au 107e étage du WTC, au fameux restaurant Windows on the World, qui donne son titre au roman.

-Compter jusqu'à cent de Mélanie Gélinas (2008)

Dans ce premier roman bouleversant, la tragédie du 11-Septembre réveille chez la narratrice une tragédie personnelle, un viol dont elle a été victime.

-Extrêmement fort et incroyablement près de Jonathan Safran Foer (2006)

Peut-être l'un des romans les plus célèbres ayant pour toile de fond les attentats. En voulant percer le mystère de la disparition de son père, mort dans les tours du WTC, le petit Oskar Shell nous offre une virée poétique, drôle et touchante, dans les rues de New York.

-In the Shadow of no Towers d'Art Spiegelman (2004)

Le bédéiste livre sa vision personnelle du 11 septembre 2001 à New York dans cet album considéré comme un chef-d'oeuvre.

-L'homme qui tombe de Don DeLillo (2008)

La chute métaphorique de l'Amérique par l'un des géants des lettres américaines. Un incontournable.