Le «méchant Arabe» est devenu ce qu'était autrefois le «vilain communiste» dans l'imaginaire collectif, nourri par les oeuvres de fiction, en particulier à la télévision et au cinéma. Et, depuis le 11 septembre 2001, cette image est beaucoup plus violente.

Mais s'il est vrai que les attentats du 11-Septembre ont contribué à figer le stéréotype du terroriste arabo-musulman dans les oeuvres populaires, les spécialistes s'accordent à dire que l'image négative de l'islam au cinéma ne date pas d'hier.

«L'un des grands mythes est que le 11-Septembre a créé le personnage du méchant Arabe musulman au cinéma», fait remarquer Jack Shaheen, spécialiste de l'image des Arabes au cinéma et à la télévision, auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet, dont le récent Guilty: Hollywood's Verdict on Arabs after 9/11.

«Avant le 11 septembre 2001, dit-il, j'ai recensé plus de 1000 films qui véhiculaient une image défavorable de l'islam. J'ai fait des recherches exhaustives sur le sujet. Ce que les événements du 11-Septembre ont fait, c'est donner l'impression que ce stéréotype est valide. Les gens m'ont dit: Vous déplorez que les Arabes soient dépeints en terroristes dans les oeuvres de fiction. Or, ce sont des terroristes! Déjà, dans le cinéma des années 20, l'image du cheikh machiste de films tels The Sheik ou Beau Geste n'était pas très flatteuse. Le riche Arabe parvenait à séduire les femmes, pratiquement à leur corps défendant. Mais c'est dans les années 60 et 70, principalement en raison du conflit israélo-palestinien, que l'Arabe est clairement devenu un méchant au cinéma, au même titre que le communiste. Exodus, avec Paul Newman, en 1960, en est probablement la première illustration.

«Le méchant Arabe a toujours été présent au cinéma et à la télévision, mais le stéréotype s'est renforcé au moment de la crise de l'OPEP, soutient Jack Shaheen, dont l'essai Reel Bad Arabs a inspiré un documentaire du même nom. Bien sûr, le communiste était le méchant par excellence, mais à ses côtés il y avait le Palestinien. Dans le contexte du conflit israélo-arabe, je crois qu'il y a eu réticence de Hollywood à humaniser l'Arabe et le musulman.»

Vers la fin des années 70, le cinéma hollywoodien associe l'Arabe au terroriste au point de les confondre, dans des films comme Black Sunday (1977), dans lequel des Palestiniens fomentent un attentat dans le stade où se déroule le Super Bowl. La tendance ne se dément pas et atteint une sorte d'apogée avec True Lies (1994), où Arnold Schwarzenegger tente d'empêcher des Arabes de prendre possession d'un avion pour attaquer Washington, ou encore The Siege (1998), à propos d'une attaque terroriste sur New York.

L'image du méchant Arabe dans la culture populaire américaine n'a certainement pas été «adoucie» par les attentats du 11 septembre 2001. «Ce que le 11-Septembre a fait, c'est de légitimer davantage l'utilisation de la violence dans les oeuvres de fiction. Les films sont de plus en plus violents, de plus en plus extrêmes et brutaux», croit Wheeler Winston Dixon, professeur de cinéma à l'Université du Nebraska et auteur de l'essai Film and TV after 9/11.

«Le 11-Septembre a inspiré beaucoup d'oeuvres sur le thème de la vengeance, dit-il. Et la violence a décuplé en ce sens. On ne pouvait gagner la guerre au terrorisme sur le terrain, alors on s'est mis en tête de la gagner à l'écran. La violence a été justifiée parce que les gens se sentaient impuissants. La télévision, en particulier, s'est nourrie de cette paranoïa et de cette peur, essentiellement à des fins commerciales.»

L'impact du petit écran

Si le cinéma américain a popularisé bien avant le 11 septembre 2001 le personnage du méchant Arabe, les attentats contre le Pentagone et le World Trade Center ont eu un écho sans précédent au petit écran. Plusieurs émissions de télévision, dont la portée dépasse largement les frontières des États-Unis, ont profité de la tragédie pour perpétuer ce stéréotype: la série 24, en particulier, mais bien d'autres aussi, telles Sleeper Cell, Threat Matrix ou CSI.

«Il n'y a jamais eu d'effort pour contrer cette perception, regrette Jack Shaheen. L'effet a été désastreux sur l'image des Arabes et des musulmans. Mépriser les Arabes est devenu non seulement acceptable, mais politiquement correct.»

«Essentiellement, ce que dit la série 24, c'est que la fin justifie les moyens et que les méthodes de torture sont nécessaires et souhaitables si, au final, on peut déjouer des complots terroristes», ajoute Wheeler Winston Dixon, qui insiste sur les liens entre le producteur de 24, républicain conservateur, et la Maison-Blanche sous George W.Bush.

La télévision et le cinéma américains ont aussi proposé des visions plus nuancées de l'Arabe et du musulman, avant et après le 11 septembre 2001. Dans Three Kings (1999), notamment, où l'Arabe prend à la fois les traits du «bon» et du «méchant». Aussi, le ton anti-arabe des émissions de télé et des films, clairement identifiable dans la foulée des attentats, semble s'être estompé avec le temps.

Dans une étude publiée il y a quelques mois, réalisée sur un échantillon de 23 films produits entre 1999 et 2010, le professeur Laurence Michalak, spécialiste du Proche-Orient à l'Université de la Californie à Berkeley, a conclu que l'image de l'Arabe s'était en quelque sorte «humanisée» au grand écran depuis les attentats du 11-Septembre.

«Récemment, plusieurs films indépendants, comme Amreeka, The Visitor, Just Like Us, Cairo Time, Syriana ou Les cerfs-volants de Kaboul, ont proposé une vision plus humaine de l'Arabe et du musulman, constate aussi Jack Shaheen, qui se réjouit du fait que de jeunes cinéastes, plus renseignés sur l'islam, ne perpétuent pas les mêmes préjugés que leurs aînés. Mais il n'y a pas encore eu de grand succès hollywoodien pour détruire complètement le stéréotype, comme l'avait fait Devine qui vient dîner? pour les Noirs.»