Les navires privés de secours aux migrants complices des trafiquants ? Le débat agite l'Italie, alimenté par les déclarations controversées d'un magistrat et la surenchère des politiques.

La polémique couvait depuis plusieurs semaines, alors que le procureur de Catane (Sicile), Carmelo Zuccaro, s'était interrogé en février sur la dizaine de navires privés, qui à la suite de l'ONG maltaise Moas en 2014 ont entrepris de secourir les migrants au large de la Libye, au côté des gardes-côtes italiens et des navires militaires engagés dans la zone.

Selon les gardes-côtes, les ONG ont secouru 26 % des migrants en 2016, sans compter l'action des plus petites de ces ONG qui ont distribué gilets de sauvetage, paroles rassurantes et soins médicaux d'urgence en attendant l'arrivée d'un plus gros bateau.

De facto, les ONG ont ainsi pris, avec des moyens et un savoir-faire plus adapté, la place des cargos, qui pour leur part sont passés de 24 % des secours en 2014 à 8 % en 2016.

Dans un rapport à l'automne, Frontex, l'organisation européenne de contrôle des frontières, a souligné le phénomène en relevant le dilemme de tous les secouristes, militaires comme privés : leur présence favorise les passeurs, leur absence menace les migrants.

Mais ces derniers jours, le procureur Zuccaro a multiplié les déclarations fracassantes dans les médias, assurant avoir « des preuves » de contacts entre des passeurs et des ONG, tout en mettant hors de cause celles déjà établies comme Médecins sans frontières (MSF) ou Save the Children.

Il a ainsi évoqué un enregistrement, non utilisable dans un éventuel procès en Italie, entre un passeur en Libye et un navire d'ONG.

Jeudi, le procureur a regretté de ne pas avoir les moyens d'enquêter sur ses hypothèses : certaines ONG sont « peut-être » financées par des trafiquants ou peuvent aussi viser à « déstabiliser l'économie italienne ».

Le ministre de la Justice Andrea Orlando a alors demandé au procureur de s'exprimer avant tout « au travers de ses enquêtes », tandis le Conseil supérieur de la magistrature doit déterminer si M. Zuccaro était allé trop loin.

« Médicament complice de la maladie »

Le malaise du gouvernement est palpable. Samedi, le ministre des Affaires étrangères Angelino Alfano s'est dit « à 100 % d'accord » avec le procureur « parce qu'il a posé une vraie question ».

Le chef du gouvernement Paolo Gentiloni est alors intervenu depuis Bruxelles : « Si la magistrature a des informations utilisables et crédibles, le gouvernement ne va certainement pas s'y opposer. Ceci étant dit, pour nous l'activité des organisations de bénévolat est précieuse et bienvenue ».

Les ONG ont pour leur part vivement réagi, réaffirmant que leur action visait uniquement à sauver des vies sur une route migratoire qui a fait plus de 4500 morts l'année dernière et un millier cette année.

« C'est une polémique stérile, la vérité est que personne ne veut aider ces personnes. Ils veulent criminaliser la solidarité », s'est insurgée Regina Catambrone, cofondatrice du Moas, à l'agence catholique SIR.

« Les ONG de secours complices des trafiquants ? C'est comme dire que les médicaments sont complices des maladies », a réagi l'écrivain Erri De Luca, qui vient de passer deux semaines sur un navire de MSF.

Mais dans un pays qui a vu débarquer plus de 500 000 personnes depuis trois ans sans que le flux ne semble pouvoir se tarir, les questions du procureur ont fait mouche.

« Nous sommes face à une invasion organisée, financée et planifée, et j'espère que le procureur de Catane pourra aller au fond des choses », a déclaré Matteo Salvini, chef de la Ligue du Nord, anti-euro et anti-immigrés.

« Les ONG sont accusées d'un fait très grave [...] À ceux qui disent que ce n'est pas le moment de les attaquer, je réponds qu'ils font partie de cette bande d'hypocrites qui ont toujours fait semblant de ne pas voir le business de l'immigration », a renchéri Luigi Di Maio, l'un des responsables du Mouvement 5 étoiles (M5S, populiste).

« Le secours en mer est un impératif absolu », a répliqué samedi sur Twitter le Haut commissaire de l'ONU pour les réfugiés, Filippo Grandi, demandant que le débat se recentre sur « comment mettre fin aux guerres, réduire la pauvreté, offrir des voies organisées, combattre le trafic ».